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LIVRE SECOND. — CHAPITRE VIII.

facile et exécutable en tout temps. Une valeur ainsi employée peut être réalisée, rendue, si elle était empruntée, prêtée de nouveau, employée dans un autre commerce, ou appliquée à tout autre usage. Si elle n’est pas toujours actuellement dans la circulation, elle y est au moins très-prochainement ; et la plus prochainement disponible de toutes les valeurs, est celle qui est en monnaie. Mais un capital dont on a construit un moulin, une usine, et même des machines mobilière et de petites dimensions, est un capital engagé, et qui, ne pouvant désormais servir à aucun autre usage, est retiré de la masse des capitaux en circulation, et ne peut plus prétendre à aucun autre profit que celui de la production à laquelle il est voué. Et remarquez qu’un moulin, une machine, ont beau être vendus, leur valeur capitale n’est point par là restituée à la circulation ; si le vendeur en dispose, l’acheteur ne dispose plus du capital qu’il a consacré à cette acquisition. La somme des capitaux disponibles reste la même.

Cette remarque est importante pour apprécier justement les cause déterminantes, non-seulement du taux de l’intérêt des capitaux qu’on prête, mais aussi des profits qu’on fait sur les capitaux qu’on emploie, et dont il sera question tout à l’heure.

On s’imagine quelquefois que le crédit multiplie les capitaux. Cette erreur, qui se trouve fréquemment reproduite dans une foule d’ouvrages, dont quelques-uns sont même écrits ex professo sur l’économie politique, suppose une ignorance absolue de la nature et des fonctions des capitaux. Un capital est toujours une valeur très-réelle, et fixée dans une matière ; car les produits immatériels ne sont pas susceptibles d’accumulation. Or, un produit matériel ne saurait être en deux endroits à la fois, et servir à deux personnes en même temps. Les constructions, les machines, les provisions, les marchandises qui composent mon capital, peuvent en totalité être des valeurs que j’ai empruntées : dans ce cas, j’exerce une industrie avec un capital qui ne m’appartient pas, et que je loue ; mais, à coup sûr, ce capital que j’emploie n’est pas employé par un autre. Celui qui me le prête s’est interdit le pouvoir de le faire travailler ailleurs. Cent personnes peuvent mériter la même confiance que moi ; mais ce crédit, cette confiance méritée ne multiplie pas la somme des capitaux disponibles ; elle fait seulement qu’on garde moins de capitaux sans les faire valoir[1].

  1. Voyez les chapitres 10 et 11 du livre I de cet ouvrage, sur la manière dont s’emploient, se transforment et s’accumulent les capitaux. Ce qui est dit ici n’est pas en contradiction avec ce qui a été établi au chapitre 30 du livre I sur les signes représentatif de la monnaie. Une lettre de change, négociée par un particulier qui a du crédit, n’est qu’un moyen d’emprunter une valeur réelle à un autre particulier pendant l’intervalle qui s’écoule depuis l’instant où la négociation se fait, jusqu’à celui où la lettre de change s’acquitte. Les billets au porteur, mis en circulation, soit par des banques, soit par le gouvernement, ne font que remplacer un agent de la circulation dispendieux (l’or ou l’argent) par un autre qui remplit le même office (le papier), et qui coûte fort peu. Le papier remplissant alors l’office des métaux précieux ; ceux-ci deviennent disponibles, et, s’échangeant contre des marchandises ou ustensiles propres à l’industrie, sont un accroissement très-réel et très-matériel du capital de la nation. Cette augmentation est bornée, et ne peut jamais excéder la somme des valeurs que l’état de la société réclame pour servir en qualité d’agent de la circulation ; somme fort petite, comparée à la valeur totale des capitaux de la société.