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LIVRE SECOND. — CHAPITRE VIII.

des atteintes de son créancier, celui-ci court un risque, et ce risque a une valeur.

Après avoir dégagé du taux de l’intérêt ce qui tient à une prime d’assurance payée au prêteur comme un équivalent du risque de perdre, en tout ou en partie, son capital, il nous reste l’intérêt pur et simple, le véritable loyer qui paie l’utilité et l’usage d’un capital.

Or, cette portion de l’intérêt est d’autant plus élevée, que la quantité des capitaux à prêter est moindre, et que la quantité de capitaux demandée pour être empruntée, est plus forte ; et, de son côté, la quantité demandée est d’autant plus considérable, que les emplois de fonds sont plus nombreux et plus lucratifs. Ainsi, une hausse dans le taux de l’intérêt n’indique pas toujours que les capitaux deviennent plus rares ; elle peut aussi indiquer que les emplois deviennent plus faciles et plus productifs. C’est ce qu’observa Smith, après la guerre heureuse que les anglais terminèrent par la paix de 1763[1]. Le taux de l’intérêt haussa : les acquisitions importantes que l’Angleterre venait de faire, ouvraient une nouvelle carrière au commerce et invitaient à de nouvelles spéculations ; les capitaux ne furent pas plus rares, mais la demande des capitaux devint plus forte, et la hausse des intérêts qui s’ensuivit, et qui est ordinairement un signe d’appauvrissement, fut, dans ce cas-ci, occasionnée par l’ouverture d’une nouvelle source de richesses.

La France a vu, en 1812, une cause contraire produire des effets opposés : une guerre longue, destructive, et qui fermait presque toute communication extérieure, des contributions énormes, des priviléges désastreux, des opérations de commerce faites par le gouvernement lui-même, des tarifs de douanes arbitrairement changés, des confiscations, des destructions, des vexations, et en général un système d’administration avide, hostile envers les citoyens, avaient rendu toutes les spéculations industrielles pénibles, hasardeuses, ruineuses ; quoique la masse des capitaux allât probablement en déclinant, les emplois utiles qu’on en pouvait faire, étaient devenus si rares et si dangereux, que jamais l’intérêt ne tomba, en France, aussi bas qu’à cette époque, et ce qui est ordinairement le signe d’une grande prospérité, devint alors l’effet d’une grande détresse.

Ces exceptions confirment la loi générale et permanente, qui veut que plus les capitaux disponibles sont abondans en proportion de l’étendue des emplois, et plus on voie baisser l’intérêt des capitaux prêtés. Quant à

  1. Rich. des Nat., liv. I, ch. 9.