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DE LA DISTRIBUTION DES RICHESSES.

ment être évalué à plus de 5 pour cent ; ce qui excède ce taux représente la prime d’assurance réclamée par le prêteur.

Ainsi la baisse de l’assurance, qui forme souvent la plus forte partie de l’intérêt, dépend de la sûreté dont jouit le prêteur ; cette sûreté, à son tour, dépend principalement de trois circonstances, savoir : 1o de la sûreté de l’emploi ; 2o des facultés, du caractère personnel de l’emprunteur, et 3o de la bonne administration du pays où il réside.

Nous venons de voir que l’emploi hasardeux que l’on fesait de l’argent emprunté, dans le moyen âge, entrait pour beaucoup dans la forte prime d’assurance payée au prêteur. Il en est de même, quoiqu’à un moindre degré, pour tous les emplois hasardeux. Les athéniens distinguaient jadis l’intérêt maritime de l’intérêt terrestre ; le premier allait à 30 pour cent, plus ou moins, par voyage, soit au Pont-Euxin, soit dans un des ports de la Méditerranée[1]. On pouvait bien exécuter deux de ces voyages par an ; ce qui fesait revenir l’intérêt annuel à 60 pour cent environ, tandis que l’intérêt terrestre ordinaire était de 12 pour cent. Si l’on suppose que, dans les 12 pour cent de l’intérêt terrestre, il y en avait la moitié pour couvrir le risque du prêteur, on trouvera que le seul usage annuel de l’argent, à Athènes, valait 6 pour cent, estimation que je crois encore au-dessus de la vérité ; mais en la supposant bonne, il y avait donc dans l’intérêt maritime 54 pour cent payés pour l’assurance du prêteur ! Il faut attribuer cet énorme risque, d’une part, aux mœurs encore barbares des nations avec lesquelles on trafiquait ; les peuples étaient bien plus étrangers les uns aux autres qu’ils ne sont de nos jours, et les lois et usages commerciaux bien moins respectés ; il faut l’attribuer, d’une autre part, à l’imperfection de l’art de la navigation. On courait plus de risques pour aller du Pirée à Trébizonde, quoiqu’il n’y eût pas trois cents lieues à faire, qu’on n’en court à présent pour aller de Lorient à Canton, en parcourant une distance de sept mille lieues. Les progrès de la géographie et de la navigation ont ainsi contribué à faire baisser le taux de l’intérêt, et par suite les frais de production.

On emprunte quelquefois, non pour faire valoir la valeur empruntée, mais pour la dépenser stérilement. De tels emprunts doivent toujours être fort suspects au prêteur ; car une dépense stérile ne fournit à l’emprunteur ni de quoi rendre le principal, ni de quoi payer les intérêts. S’il a un revenu sur lequel il puisse assigner la restitution, c’est une manière d’anti-

  1. Voyage d’Anacharsis, t. IV, p. 371.