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LIVRE SECOND. — CHAPITRE VIII.

Le revenu d’un capitaliste est déterminé d’avance quand il prête son instrument et en tire un intérêt convenu ; il est éventuel et dépend de la valeur qu’aura le produit auquel le capital a concouru, quand l’entrepreneur l’emploie pour son compte. Dans ce cas, le capital, ou la portion du capital qu’il a empruntée et qu’il fait valoir, peut lui rendre plus ou moins que l’intérêt qu’il en paie.

Des considérations sur l’intérêt des capitaux prêtés pouvant jeter du jour sur les profits que les capitaux rendent à l’emploi, il peut être utile de se former d’abord de justes idées sur la nature et les variations de l’intérêt.


§ I. — Du Prêt à intérêt.


L’intérêt des capitaux prêtés, mal à propos nommé intérêt de l’argent, s’appelait auparavant usure (loyer de l’usage, de la jouissance), et c’était le mot propre, puisque l’intérêt est un prix, un loyer qu’on paie pour avoir la jouissance d’une valeur. Mais ce mot est devenu odieux ; il ne réveille plus que l’idée d’un intérêt illégal, exorbitant, et on lui en a substitué un autre plus honnête et moins expressif, selon la coutume.

Avant que l’on connût les fonctions et l’utilité d’un capital, peut-être regardait-on la redevance imposée par le prêteur à l’emprunteur, comme un abus introduit en faveur du plus riche au préjudice du plus pauvre. Il se peut encore que l’épargne, seul moyen d’amasser des capitaux, fût considérée comme l’effet d’une avarice nuisible au public, qui regardait comme perdus pour lui les revenus que les grands propriétaires ne dépensaient pas. On ignorait que l’argent épargné pour le faire valoir, est dépensé tout de même (puisque, si on l’enfouissait, on ne le ferait pas valoir), qu’il est dépensé d’une manière cent fois plus profitable à l’indigence[1], et qu’un homme laborieux n’est jamais assuré de pouvoir gagner sa subsistance que là où il se trouve un capital mis en réserve pour l’occuper. Ce préjugé contre les riches qui ne dépensent pas tout leur revenu, est encore dans beaucoup de têtes ; mais autrefois il était général ; il était partagé même par les prêteurs, qu’on voyait, honteux du rôle qu’ils jouaient, employer, pour toucher un profit très-juste et très-utile à la société, le ministère des gens les plus décriés.

Il ne faut donc pas s’étonner que les lois ecclésiastiques, et à plusieurs époques les lois civiles elles-mêmes, aient proscrit le prêt à intérêt, et

  1. Voyez, au livre III, ce qui a rapport à la consommation reproductive.