Page:Say - Traité d’économie politique.djvu/377

Cette page a été validée par deux contributeurs.
376
LIVRE SECOND. — CHAPITRE VII.

vriers tonneliers, soit en achetant sans besoin des tonneaux, soit en leur distribuant des secours à peu près équivalens aux profits qu’ils avaient coutume de faire. Mais des achats sans besoins, des secours, ne peuvent pas se perpétuer ; et, au moment où ils viennent à cesser, les ouvriers se trouvent exactement dans la même position fâcheuse d’où l’on a voulu les tirer. On aura fait des sacrifices, des dépenses, sans aucun avantage, si ce n’est d’avoir un peu différé le désespoir de ces pauvres gens.

Par une supposition contraire, la cause de la surabondance des tonneaux est passagère ; c’est, par exemple, une mauvaise récolte. Si, au lieu de procurer des secours passagers aux feseurs de tonneaux, on favorise leur établissement en d’autres cantons, ou leur emploi dans quelque autre branche d’industrie, il arrivera que l’année suivante, abondante en vins, il y aura disette de tonneaux ; leur prix sera exorbitant, il sera réglé par la cupidité et l’agiotage ; et comme la cupidité et l’agiotage ne peuvent pas produire des tonneaux quand les moyens de production de cette denrée sont détruits, une partie des vins pourra demeurer perdue faute de vases. Ce n’est que par une nouvelle commotion et à la suite de nouveaux tiraillemens, que leur fabrication se remontera au niveau des besoins.

On voit qu’il faut changer de remède suivant la cause du mal, et par conséquent connaître cette cause avant de choisir le remède.

J’ai dit que ce qu’il fallait pour vivre, était la mesure du salaire des ouvrages les plus communs, les plus grossiers ; mais cette mesure est très-variable : les habitudes des hommes influent beaucoup sur l’étendue de leurs besoins. Il ne me paraît pas assuré que les ouvriers de certains cantons de France pussent vivre sans boire un seul verre de vin. À Londres, ils ne sauraient se passer de bière ; cette boisson y est tellement de première nécessité, que les mendians vous y demandent l’aumône pour aller boire un pot de bière, comme en France pour avoir un morceau de pain ; et peut-être ce dernier motif, qui nous semble fort naturel, paraît-il impertinent à un étranger qui arrive pour la première fois d’un pays où la classe indigente peut vivre avec des patates, du manioc, ou d’autres alimens encore plus vils.

La mesure de ce qu’il faut pour vivre dépend donc en partie des habitudes du pays où se trouve l’ouvrier. Plus la valeur de sa consommation est petite, et plus le taux ordinaire de son salaire peut s’établir bas, plus les produits auxquels il concourt sont à bon marché. S’il veut améliorer son sort et élever ses salaires, le produit auquel il concourt renchérit, ou bien la part des autres producteurs diminue.