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LIVRE SECOND. — CHAPITRE VII.

si grand sacrifice ; cependant ces professions sont à peine plus lucratives que les autres.

La plupart des hommes embrassent un état par occasion, suivant les conjonctures, sans avoir pu comparer les avantages ou les inconvéniens qu’il présente, ou bien pour obéir aux opinions et même aux préjugés des personnes de qui leur sort dépend. Ils sont séduits par des succès brillans sans avoir pu juger les circonstances particulières auxquelles on les a dus. Le penchant de l’homme pour se flatter lui-même, pour croire que, s’il y a une chance heureuse, elle lui sera réservée, attire vers certaines professions plus de travaux que les profits qu’on y peut faire ne sembleraient devoir en appeler.

« Dans une loterie équitable, dit l’auteur de la Richesse des Nations, les bons billets doivent gagner tout ce que perdent les billets blancs : dans un métier où vingt personnes se ruinent pour une qui réussit, celle qui réussit devrait gagner seule les profits de vingt autres[1]. » Or, dans beaucoup d’emplois, on est loin d’être payé suivant ce taux. Le même auteur croit que, quelque bien payés que soient les avocats de réputation, si l’on computait tout ce qui est gagné par tous les avocats d’une grande ville, et tout ce qui est dépensé par eux, on trouverait la somme du gain de beaucoup inférieure à celle de la dépense. Si dans cette profession les travailleurs subsistent, c’est donc aux dépens de quelque autre revenu qu’ils ont d’ailleurs.

On peut dire la même chose des professions lettrées. Les encouragemens donnés par la plupart des gouvernemens aux études classiques, de préférence à l’acquisition de connaissances plus utiles, comme seraient les principes élémentaires de la physique, de la chimie, de la mécanique, et les langues vivantes, précipitent dans les travaux littéraires et dans la carrière de l’enseignement, beaucoup plus de personnes que ce genre d’occupation ne peut en faire vivre commodément.

On s’écarte donc des notions de l’expérience la plus commune, quand on prétend qu’au moyen des compensations, les profits industriels sont les mêmes dans tous les cas. Rejeter dans les exceptions les exemples qui contraient ce système, c’est détruire la loi qu’on veut établir ; car ces exemples démentent plus souvent la loi qu’ils ne la confirment ; la règle alors devient une exception. Mais ce qui ne peut en aucune manière s’accommoder au système des compensations, ce sont les immenses disparités

  1. Rich. des Nat., liv. I, chap. 20.