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DE LA DISTRIBUTION DES RICHESSES

que ne fesaient les anciens. En supposant que l’on donne encore, pour avoir une certaine quantité de poivre, la même quantité d’argent que l’on donnait anciennement, le poivre est six fois moins cher qu’il n’était ; car la même quantité d’argent vaut six fois moins.

La soie a beaucoup plus baissé de prix que l’or et l’argent. Autrefois, disent les historiens, elle valait autant que son poids en or. Il est à présumer qu’ils disent cela de la soie tissue en étoffes que les romains tiraient de l’orient ; car ils n’avaient point de manufactures d’étoffes de soie. Aujourd’hui, pour un kilogramme d’or qui vaut 3400 francs, on aurait 27 kilogrammes d’étoffes de soie unies ; et comme l’or a lui-même baissé au sixième de son ancienne valeur, la multiplication de 27 par 6 nous montre que les soieries valent chez nous cent soixante-deux fois moins qu’elles ne valaient chez les romains ; d’où l’on peut conclure le luxe des personnes qui se montraient à Rome en vêtemens de soie.

Locke, et après lui les auteurs de la première encyclopédie, ont évalué différemment la baisse survenue dans les métaux précieux. Présumant qu’à l’époque où ils écrivaient il y avait dans la circulation dix fois plus d’argent qu’avant le seizième siècle, ils ont cru qu’il fallait nécessairement en donner dix fois plus pour acheter les mêmes marchandises ; et qu’une famille qui aurait conservé la même quantité de vaisselle d’argent, ne possèderait plus en vaisselle que la dixième partie de la valeur qu’elle possédait alors. Leur opinion ne s’accorde pas avec les faits précédens, et c’est, je crois, parce que ces auteurs méconnaissaient la source de la valeur. Elle n’est point, ainsi qu’ils l’imaginaient, dans le rapport qui existe entre les quantités diverses d’argent que l’on avait à différentes époques, mais dans le rapport entre la quantité d’argent que l’on a pu, à différentes époques, absorber à un certain prix, et la quantité d’argent que l’on a pu, aux mêmes époques, apporter sur le marché à ce prix-là[1].

Avec quoi le monde paie-t-il les producteurs d’argent ? Avec d’autres produits. S’il y a eu plus de métal d’argent offert d’un côté, il y a eu plus de produits offerts d’un autre. La découverte des mines et les grands développemens de l’industrie datent de la même époque, sans que l’on puisse dire qu’un de ces deux événemens ait dépendu de l’autre. La chaîne des cordilières n’aurait renfermé que des pierres brutes, que les mêmes développemens auraient probablement eu lieu dans l’industrie du

  1. C’est, en d’autres termes, la cause assignée à la valeur de l’argent au commencement de ce chapitre.