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DE LA DISTRIBUTION DES RICHESSES.

brebis qu’il n’y en a actuellement, on pourrait bien ne les payer que le double plus cher : or, là où il y a actuellement cinq brebis produites qui peuvent valoir ensemble 100 francs à 20 francs pièce, il n’y en aurait plus qu’une qui vaudrait 40 francs. La diminution des richesses consistant en brebis, malgré l’augmentation du prix, serait dans ce cas diminuée dans la proportion de 100 à 40, c’est-à-dire de plus de moitié, malgré le renchérissement[1].

Je vais plus loin, et je dis que la baisse réelle des prix, même en supposant qu’elle n’entraîne aucune augmentation dans les quantités produites et consommées, est un accroissement de richesses pour le pays, et que cette augmentation peut être évaluée en valeur échangeable, en argent si l’on veut. Prenons le même exemple. Après que des causes quelconques ont maintenu le prix des brebis à 40 francs, supposons qu’on introduit des races plus fécondes, ou bien qu’on les soigne plus habilement, ou bien qu’on les nourrisse à moins de frais, et que, leur valeur diminuant, on puisse acquérir chaque brebis au prix de 20 francs sans que la consommation s’en augmente (quelque invraisemblable que soit cette dernière supposition) ; qu’en résulte-t-il ? Là où l’on vendait cent brebis pour 4,000 francs, on en vendra, sans perte, le même nombre pour 2,000 francs. Ne voyez-vous pas que les consommateurs (c’est-à-dire la nation) dépensant 2,000 francs de moins pour cette consommation, auront 2,000 francs à consacrer à une autre ? Or, qu’est-ce que d’avoir plus d’argent à dépenser, sinon d’être plus riche[2] ?

Et si l’on était porté à croire qu’une baisse réelle, c’est-à-dire des services productifs moins chers, diminuent les avantages des producteurs précisément autant qu’ils augmentent ceux des acheteurs, on serait dans l’erreur. La baisse réelle des choses produites tourne au profit des con-

  1. C’est l’espèce de tort que font les impôts (surtout lorsqu’ils sont un peu forts) à la richesse générale, indépendamment du dommage qu’ils portent au contribuable. En élevant les frais de production, et par conséquent le prix réel des choses, ils en diminuent la valeur totale.
  2. J’ai vu des gens qui s’imaginent augmenter les richesses nationales, en favorisant de préférence la production des choses chères. Suivant eux, il vaut mieux faire une aune d’une étoffe de soie richement brochée, qu’une aune de simple taffetas. Ils ne font pas attention que si l’étoffe brochée coûte quatre fois autant que le taffetas, c’est qu’elle a exigé quatre fois autant de services productifs, qui auraient fait quatre aunes unies, au lieu d’une aune brochée ; et que ce que l’on paie de trop pour une consommation est ravi à une autre.