Page:Say - Traité d’économie politique.djvu/329

Cette page a été validée par deux contributeurs.
328
LIVRE SECOND. — CHAPITRE II.

rait en résulter un avilissement du produit qui en ferait tomber le prix courant au-dessous des frais de production, tout amoindris qu’ils pourraient être. Crainte chimérique ! La moindre baisse d’un produit étend tellement la classe de ses consommateurs, que toujours, à ma connaissance, la demande a surpassé ce que les mêmes fonds productifs, même perfectionnés, pouvaient produire ; et qu’il a toujours fallu, à la suite des perfectionnemens qui ont accru la puissance des services productifs, en consacrer de nouveaux à la confection des produits qui avaient baissé de prix.

C’est le phénomène que nous a déjà présenté l’invention de l’imprimerie. Depuis qu’on a trouvé cette manière expéditive de multiplier les copies d’un même écrit, chaque copie coûte vingt fois moins qu’une copie manuscrite ne coûtait. Il suffirait, pour que la valeur de la demande s’élevât à la même somme, que le nombre de livres fût seulement vingtuple de ce qu’il était. Je croirais être fort en deçà de la vérité en disant qu’il a centuplé.

De sorte que là où il y avait un volume valant 60 francs, valeur d’aujourd’hui, il y en a cent qui, étant vingt fois moins chers, valent néanmoins 300 francs. La baisse des prix, qui procure un enrichissement réel, n’occasionne donc pas une diminution, même nominale, des richesses[1].

Par la raison contraire, un renchérissement réel, provenant toujours d’une moins grande quantité de choses produites au moyen des mêmes frais de production (outre qu’il rend les objets de consommation plus chers par rapport aux revenus des consommateurs, et par conséquent les consommateurs plus pauvres), ne compense point par l’augmentation de prix des choses produites, la diminution de leur quantité.

Je suppose qu’à la suite d’une épizootie ou d’un mauvais régime vétérinaire, une race de bestiaux, les brebis, par exemple, deviennent de plus en plus rares ; leur prix haussera, mais non pas en proportion de la réduction de leur nombre : car à mesure qu’elles renchériront, la demande de cette denrée diminuera. S’il venait à y avoir cinq fois moins de

  1. Nous avons trop peu de données sur la quantité de marchandises produites dans les temps antérieurs, pour pouvoir en déduire un résultat précis ; mais ceux qui ont quelques notions en ce genre, savent que le résultat ne peut différer que du plus au moins. Nos descendans, au moyen des recherches statistiques de notre siècle, pourront donner quelques résultats plus positifs, qui ne rendront pas les principes plus indubitables.