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LIVRE SECOND. — CHAPITRE I.

hectolitre de froment soit de vingt francs, ces deux évaluations sont pareilles.

Dans toute évaluation, la chose qu’on évalue est une quantité donnée, à laquelle rien ne peut être changé. Une maison désignée est une quantité donnée ; c’est la quantité d’une chose appelée maison, située dans tel lieu, et conditionnée de telle sorte. L’autre terme de la comparaison est variable dans sa quantité, parce que l’évaluation peut être portée plus ou moins haut. Quand on évalue une maison vingt mille francs, on porte à vingt mille la quantité des francs qu’on suppose qu’elle vaut, dont chacun pèse 5 grammes d’argent mêlé d’un dixième d’alliage. Si l’on juge à propos de porter l’évaluation à vingt-deux mille francs, ou de la réduire à dix-huit mille, on fait varier la quantité de la chose qui sert à l’évaluation. Il en serait de même si l’on évaluait le même objet en blé. Ce serait la quantité du blé qui déterminerait le montant de l’évaluation.

L’évaluation est vague et arbitraire tant qu’elle n’emporte pas la preuve que la chose évaluée est généralement estimée autant que telle quantité d’une autre chose. Le propriétaire d’une maison l’évalue 22 mille francs : un indifférent l’évalue 18 mille francs : laquelle de ces deux évaluations est la bonne ? Ce peut n’être ni l’une ni l’autre. Mais lorsqu’une autre personne, dix autres personnes, sont prêtes à céder en échange de la maison, une certaine quantité d’autres choses, 20 mille francs, par exemple, ou mille hectolitres de blé, alors on peut dire que l’évaluation est juste. Une maison qu’on peut vendre, si l’on veut, 20 mille francs, vaut 20 mille francs[1]. Si une seule personne est disposée à la payer ce prix ; s’il lui est impossible, après l’avoir acquise, de la revendre ce qu’elle lui a coûté, alors elle l’a payée au-delà de sa valeur. Toujours est-il vrai qu’une valeur incontestable est la quantité de toute autre chose qu’on peut obtenir, du moment qu’on le désire, en échange de la chose dont on veut se défaire.

Sachons maintenant quelles sont les lois qui fixent, pour chaque chose,

  1. Louis Say, de Nantes, mon frère, a attaqué ce principe dans un petit ouvrage intitulé : Principales causes de la Richesse et de la Misère des peuples et des particuliers, in-8o de 156 pages. Il pose que les choses ne sont des richesses qu’en raison de l’utilité qu’elles ont, et non en raison de celle que le public leur reconnaît en les payant plus ou moins cher. Il est très-vrai que les hommes devraient toujours en juger ainsi ; mais en économie politique il ne s’agit pas d’apprendre ce qui devrait être, mais ce qui est ; de constater un fait, d’en assigner les causes, et d’en montrer les conséquences.