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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XXIII.

Et que dire du gouvernement espagnol, dont la fidélité dans l’empreinte de ses piastres leur donnait au dehors une valeur fort supérieure à leur valeur intrinsèque, qui, en vertu de l’espèce de monopole dont jouissaient ses états d’Amérique, relativement à cette marchandise, pouvait charger de gros droits son extraction, et qui néanmoins prohibait une exportation si profitable pour ses peuples et pour lui ?

Le gouvernement, quoique fabricant de monnaie, et n’étant point tenu de la fabriquer gratuitement, ne peut pas néanmoins, avec justice, retenir les frais de fabrication sur les sommes qu’il paie en exécution de ses engagemens. S’il s’est engagé à payer, je suppose, pour des fournitures qui lui ont été faites, une somme d’un million, il ne peut équitablement dire au fournisseur : « je me suis engagé à vous payer un million, mais je vous paie en monnaie qui sort de dessous le balancier, et je vous retiens vingt mille francs, plus ou moins, pour frais de fabrication. »

Le sens de tous les engagemens pris par le gouvernement ou par les particuliers est celui-ci : je m’engage à payer telle somme en monnaie fabriquée, et non pas telle somme en lingots ; l’échange qui sert de base à ce marché a été fait en conséquence de ce que l’un des contractans donnait pour sa part une denrée un peu plus chère que l’argent, c’est-à-dire de l’argent frappé en écus. Le gouvernement doit donc de l’argent monnayé ; il a dû acheter en conséquence, c’est-à-dire, obtenir plus de marchandise que s’il s’était engagé à payer en argent-lingots ; dans ce cas, il bénéficie des frais de fabrication au moment où il conclut le marché, au moment où il obtient une plus grande quantité de marchandise que s’il eût fait ses paiemens en lingots. C’est quand on lui porte du métal à fabriquer en monnaie, qu’il doit faire payer ou retenir en argent les frais de fabrication.

Nous avons vu de quelle manière et jusqu’à quel point les gouvernemens, en vertu du privilége qu’ils se sont attribué, avec raison je crois, de fabriquer seuls les monnaies, peuvent en faire un objet de lucre ; nous avons vu en même temps qu’ils ne s’en prévalent guère, et que par tout pays la valeur d’une pièce de monnaie excède peu celle d’un petit lingot égal en poids et en finesse. C’est de quoi l’on peut se convaincre en voyant quel est le prix courant du lingot payé en pièces de monnaie. D’un autre côté, nous pouvons regarder comme un fait constant que jamais les pièces monnayées ne tombent au-dessous de la valeur de leur matière première. La raison en est simple. Si, par l’effet d’une surabondance d’espèces, un écu de 5 francs déclinait en valeur jusqu’à valoir un peu moins qu’un