Page:Say - Traité d’économie politique.djvu/247

Cette page a été validée par deux contributeurs.
246
LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XXII.

sert pour monnaie d’un coquillage nommé cauri, qui n’a aucune valeur intrinsèque, si ce n’est chez quelques peuplades, qui l’emploient en guise d’ornement. Cette monnaie ne pourrait suffire à des nations qui trafiqueraient avec une grande partie du globe ; elles trouveraient trop incommode une marchandise-monnaie qui, hors des limites d’un certain territoire, n’aurait plus de cours. On est d’autant plus disposé à recevoir une marchandise par échange, qu’il y a plus de lieux où cette même marchandise est admise à son tour de la même façon.

On ne doit donc pas être surpris que presque toutes les nations commerçantes du monde aient fixé leur choix sur les métaux pour leur servir de monnaie ; et il suffit que les plus industrieuses, les plus commerçantes d’entre elles l’aient fait, pour qu’il ait convenu aux autres de le faire.

Aux époques où les métaux maintenant les plus communs étaient rares, on se contentait de ceux-là. La monnaie des Lacédémoniens était de fer ; celle des premiers romains était de cuivre. À mesure qu’on a tiré de la terre une plus grande quantité de fer ou de cuivre, ces monnaies ont eu les inconvéniens attachés aux produits de trop peu de valeur[1], et depuis long-temps les métaux précieux, c’est-à-dire l’or et l’argent, sont la monnaie la plus généralement adoptée.

Ils sont singulièrement propres à cet usage : ils se divisent en autant de petites portions qu’il est besoin, et se réunissent de nouveau sans perdre sensiblement de leur poids ni de leur valeur. On peut par conséquent proportionner leur quantité à la valeur de la chose qu’on achète.

En second lieu, les métaux précieux sont d’une qualité uniforme par toute la terre. Un gramme d’or pur, qu’il sorte des mines d’Amérique ou d’Europe, ou bien des rivières d’Afrique, est exactement pareil à un autre gramme d’or pur. Le temps, l’air, l’humidité, n’altèrent point cette qualité, et le poids de chaque partie de métal est par conséquent une mesure exacte de sa quantité et de sa valeur comparée à toute autre partie ; deux grammes d’or ont une valeur justement double d’un gramme du même métal.

  1. Les lois de Lacédémone offrent une preuve de ce que j’ai dit, que l’autorité de la loi ne peut suffire pour établir le cours de la monnaie. Lycurgue voulut que la monnaie fût de fer, précisément pour qu’on ne pût pas en amasser ni en transporter aisément une grande quantité ; mais, comme cela même contrariait un des principaux usages de la monnaie, sa loi fut violée. Lycurgue fut pourtant le mieux obéi des législateurs.