Page:Say - Traité d’économie politique.djvu/244

Cette page a été validée par deux contributeurs.
243
DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

guèrent, commençaient-ils à employer, comme monnaie, dans les menus détails du commerce, des grains de cacao.

J’ai dit que c’est la coutume et non pas l’autorité du gouvernement qui fait qu’une certaine marchandise est monnaie plutôt qu’une autre ; car la monnaie a beau être frappée en écus, le gouvernement (du moins dans les temps où la propriété est respectée) ne force personne à donner sa marchandise contre des écus. Si, en fesant un marché, on consent à recevoir des écus en échange d’une autre denrée, ce n’est point par égard pour l’empreinte. On donne et l’on reçoit la monnaie aussi librement que toute autre marchandise, et l’on troque, toutes les fois qu’on le juge préférable, une denrée contre une autre, ou contre un lingot d’or ou d’argent non frappé en monnaie. C’est donc uniquement parce qu’on sait par expérience que les écus conviendront aux propriétaires des marchandises dont on pourra avoir besoin, que soi-même on reçoit des écus préférablement à toute autre marchandise. Cette libre préférence est la seule autorité qui donne aux écus l’usage de monnaie ; et si l’on avait des raisons de croire qu’avec une marchandise autre que des écus, avec du blé, par exemple, on pût acheter plus aisément les choses dont on suppose qu’on pourra avoir besoin, on refuserait de donner sa marchandise contre des écus, on demanderait du blé en échange[1].

La même liberté qu’a tout homme de donner ou de ne pas donner sa marchandise contre de la monnaie, à moins d’une spoliation arbitraire, d’un vol, fait que la valeur de la monnaie ne saurait être fixée par les lois ; elle est déterminée par le libre accord qui se fait entre le vendeur et l’acheteur. Elle vaut plus quand le vendeur consent à livrer une plus

  1. Lorsque les nègres des bords de la Gambie commencèrent à traiter avec les Européens, la chose dont ils fesaient le plus de cas était le fer, parce qu’il leur servait à fabriquer des instrumens de guerre et de labour. Le fer devint la valeur avec laquelle ils comparèrent toutes les autres ; bientôt il n’intervint plus que par supposition dans les marchés, et l’on échangea, dans ces contrées, une barre de tabac, composée de vingt ou trente feuilles, contre une barre de rhum, composée de quatre ou cinq pintes, suivant le plus ou moins d’abondance de la marchandise. Toutes les marchandises, en ce pays-là, font office de monnaie, l’une relativement à l’autre ; mais cela ne sauve d’aucun des inconvéniens des échanges en nature, qui sont principalement de ne pouvoir offrir une marchandise qui soit toujours de facile défaite, et qui puisse se proportionner, en quantité et en valeur, à la valeur de tous les produits. (Voyez le Voyage de Mungo-Park en Afrique, tome I, ch. 2.)