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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XXI.

il est obligé, pour se le procurer, de conclure deux échanges : une vente d’abord, et ensuite un achat, même en supposant toutes ces valeurs parfaitement égales.

2o la seconde qualité qui fait préférer la monnaie, est de pouvoir se subdiviser de manière à former tout juste une valeur égale à la valeur qu’on veut acheter ; tellement qu’elle convient à tous ceux qui ont des achats à faire, quelle que soit la valeur de ces achats. On cherche donc à troquer le produit dont on a trop (qui est en général celui qu’on fabrique) contre du numéraire, parce que, outre le motif ci-dessus, on est assuré de pouvoir se procurer, avec la valeur du produit vendu, un autre produit égal seulement à une fraction ou bien à un multiple de la valeur de l’objet vendu ; et ensuite parce qu’on peut à volonté acheter, en plusieurs fois et en divers lieux, les objets qu’on veut avoir en échange de l’objet qu’on a vendu.

Dans une société très-avancée, où les besoins de chacun sont variés et nombreux, et où les opérations productives sont réparties entre beaucoup de mains, la nécessité des échanges est encore plus grande ; ils deviennent plus compliqués, et il est par conséquent d’autant plus difficile de les exécuter en nature. Si un homme, par exemple, au lieu de faire un couteau tout entier, ne fait autre chose que des manches de couteaux, comme cela arrive dans les villes où la fabrique de coutellerie est établie en grand, cet homme ne produit pas une seule chose qui puisse lui être utile ; car que ferait-il d’un manche de couteau sans lame ? Il ne saurait consommer la plus petite partie de ce qu’il produit ; il faut nécessairement qu’il en échange la totalité contre les choses qui lui sont nécessaires, contre du pain, de la viande, de la toile, etc. ; mais ni le boulanger, ni le boucher, ni le tisserand n’ont besoin, dans aucun cas, d’un produit qui ne saurait convenir qu’au seul manufacturier en coutellerie, lequel ne saurait donner en échange, de la viande ou du pain, puisqu’il n’en produit point ; il faut donc qu’il donne une marchandise que, suivant la coutume du pays, on puisse espérer d’échanger facilement contre la plupart des autres denrées.

C’est ainsi que la monnaie est d’autant plus nécessaire que le pays est plus civilisé, que la séparation des occupations y est poussée plus loin. Cependant l’histoire offre des exemples de nations assez considérables où l’usage d’une marchandise-monnaie a été inconnu ; tels étaient les Mexicains[1]. Encore, à l’époque où des aventuriers espagnols les subju-

  1. Raynal, Hist. philos. et polit., liv. VI.