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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

produits différens, combien il serait difficile, dis-je, qu’ils échangeassent ce qu’ils produisent contre les choses dont ils ont besoin, s’il fallait que ces échanges se fissent en nature.

Le coutelier irait chez le boulanger, et pour avoir du pain, il lui offrirait des couteaux ; mais le boulanger est pourvu de couteaux ; c’est un habit qu’il demande. Pour en avoir un, il donnerait volontiers du pain au tailleur ; mais le tailleur ne manque point de cette denrée ; il voudrait avoir de la viande, et ainsi de suite à l’infini.

Pour lever cette difficulté, le coutelier, ne pouvant faire agréer au boulanger une marchandise dont celui-ci n’a pas besoin, cherchera du moins à lui offrir une marchandise que le boulanger puisse à son tour échanger facilement contre toutes les denrées qui pourront lui devenir nécessaires. S’il existe dans la société une marchandise qui soit recherchée non à cause des services qu’on en peut tirer par elle-même, mais à cause de la facilité qu’on trouve à l’échanger contre tous les produits nécessaires à la consommation, une marchandise dont on puisse exactement proportionner la quantité qu’on en donne avec la valeur de ce qu’on veut avoir, c’est celle-là seulement que notre coutelier cherchera à se procurer en échange de ses couteaux, parce que l’expérience lui a appris qu’avec celle-là il se procurera facilement, par un autre échange, du pain ou toute autre denrée dont il pourra avoir besoin.

Cette marchandise est la monnaie[1].

Les deux qualités qui, à égalité de valeur, font en général préférer la monnaie ayant cours dans le pays, à toute autre espèce de marchandise, sont donc :

1o De pouvoir, comme admise par l’usage et par les lois à servir d’intermédiaire dans les échanges, convenir à tous ceux qui ont quelque échange, quelque achat à consommer, c’est-à-dire à tout le monde. Chacun étant assuré, en offrant de la monnaie, d’offrir une marchandise qui conviendra à tout le monde, est assuré par là de pouvoir se procurer, par un seul échange, qu’on appelle un achat, tous les objets dont il pourra avoir besoin ; tandis que s’il est nanti de tout autre produit, il n’est pas assuré que son produit convienne au possesseur du produit qu’il désire ;

  1. Dans l’usage ordinaire on nomme souvent la monnaie, quand elle est composée de métaux précieux, du numéraire, de l’argent ou des espèces. Ici je n’entends parler que des monnaies en général, sans m’occuper encore de la matière dont elles sont faites.