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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

un gain de dix mille francs ; comme si le tailleur qui habillait l’étranger, le bijoutier qui le décorait, le traiteur qui le nourrissait, ne lui fournissaient aucune valeur en échange de son argent, et fesaient un profit égal au montant de leurs mémoires.

L’avantage qu’un étranger procure est celui qu’on retire de toute espèce d’échange, c’est-à-dire de produire les valeurs qu’on reçoit en retour, par des procédés plus avantageux que si on les produisait directement. Il n’est point à dédaigner[1] ; mais il est bon de le réduire à sa juste valeur, pour se préserver des folles profusions au prix desquelles on s’est imaginé qu’on devait l’acheter. Un des auteurs les plus vantés pour les matières commerciales, dit que « les spectacles ne sauraient être trop grands, trop magnifiques et trop multipliés ; que c’est un commerce où la France reçoit toujours sans donner : » ce qui est à peu près le contraire de la vérité ; car la France donne, c’est-à-dire, perd la totalité des frais de spectacle, qui n’ont d’autre avantage que le plaisir qu’ils procurent, et qui ne fournissent, en remplacement des valeurs qu’ils consomment, aucune autre valeur. Ce peuvent être des choses fort agréables comme amusemens, mais ce sont assurément des combinaisons fort ridicules comme calcul. Que penserait-on d’un marchand qui ouvrirait un bal dans sa boutique, paierait des bateleurs, et distribuerait des rafraîchissemens, pour faire aller son commerce ?

D’ailleurs, est-il bien sûr qu’une fête, un spectacle, quelque magnifiques qu’on les suppose, amènent beaucoup d’étrangers du dehors ? Les étrangers ne sont-ils pas plutôt attirés, ou par le commerce, ou par de riches trésors d’antiquités, ou par de nombreux chefs-d’œuvre des arts qui ne se trouvent nulle part ailleurs, ou par un climat, des eaux singulièrement favorables à la santé, ou bien encore par le désir de visiter des lieux illustrés par de grands événemens, et d’apprendre une langue fort répandue ? Je serais assez tenté de croire que la jouissance de quelques plaisirs futiles n’a jamais attiré de bien loin beaucoup de monde. Un spectacle, une fête, font

  1. Le pays où l’étranger voyage est, relativement à lui, dans une situation favorable, et ce genre de commerce peut être regardé comme lucratif, parce que l’étranger, peu au fait de la langue et des valeurs, et souvent dominé par la vanité, paie, dans beaucoup de cas, les objets au-delà de ce qu’ils valent ; parce que les spectacles, les curiosités dont il achète la vue, sont des frais déjà faits sans lui, et que n’augmente pas sa présence ; mais ces avantages, très-réels, sont bornés : il ne faut pas s’exagérer leur importance.