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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XIX.

ou bien de la Cochinchine, soit que nous en fournissions la valeur directement par l’envoi de nos produits, ou indirectement en y envoyant de l’argent que nous acquérons au moyen de nos produits, de toute manière notre consommation en sucre est payée par les produits de notre industrie, de toute manière le mouvement commercial de nos ports est le même.

J’ai entendu cent fois déplorer la perte du riche commerce de nos colonies et la splendeur ancienne des villes de Nantes et de Bordeaux. Ces lamentations sont absolument dépourvues de raison. L’industrie et la richesse de la France se sont au total accrues depuis qu’elle a perdu ses principales colonies, et malgré les circonstances extrêmement défavorables où elle s’est trouvée. Notre navigation marchande a été presque entièrement interrompue ; mais c’était par la guerre, par une guerre où l’ennemi était demeuré maître de la mer, et qui nous a valu du moins d’être pendant un temps débarrassés des frais de nos colonies. Depuis le retour de la paix, le mouvement de nos ports a repris, et il ne paraît pas que le commerce de Nantes et de Bordeaux soit moins considérable, puisque leur population n’est pas moindre qu’autrefois ; mais quand elle le serait, il n’y aurait pas lieu de s’étonner que de si grands changemens survenus dans nos relations avec toutes les parties du monde, eussent changé le cours de notre commerce maritime, et que le havre-de-grâce eût gagné en importance ce que des ports moins heureusement situés pourraient avoir perdu. Sans doute la marine marchande de la France n’est point ce qu’elle doit être ; mais elle ne l’a jamais été. Peut-être faut-il s’en prendre au caractère national, qui se trouve moins apte à ce genre d’industrie qu’à plusieurs autres ; au défaut de capitaux pour les grandes entreprises maritimes, parce qu’elles sont trop peu souvent couronnées de succès ; mais surtout à une politique étroite et fiscale, qui rend difficile pour les navigateurs français l’accès des pays d’outre-mer, et à une législation maritime qui s’oppose à tout développement[1].

La marine marchande qui étonne le plus par ses progrès, est celle des États-Unis, qui n’ont point de colonies. Les vraies colonies d’un peuple

  1. Principalement à cause de la prépondérance exclusive donnée à la marine militaire ; à cause des entraves que les douanes opposent au cabotage ; à cause des formalités exigées pour être capitaine au long cours, patron, pilote, etc. Le cabotage le plus libre est la source des véritables progrès maritimes ; et quant aux formalités, les Américains des États-Unis, qui sont les meilleurs marins du monde, ne les connaissent pas.