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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XIX.

n’est pas d’abord fort grande, mais elle s’accroît avec rapidité. On ne choisit guère de patrie adoptive que là où le sol est fertile, le climat favorable, ou la situation convenable pour le commerce ; c’est pour l’ordinaire un pays tout neuf, soit qu’auparavant il fût complétement inhabité, soit qu’il n’eût pour habitans que des peuplades grossières, par conséquent peu nombreuses et hors d’état d’épuiser les facultés productives du sol.

Des familles élevées dans un pays civilisé, qui vont s’établir dans un pays nouveau, y portent les connaissances théoriques et pratiques, qui sont un des principaux élémens de l’industrie ; elles y portent l’habitude du travail, par le moyen duquel ces facultés sont mises en œuvre, et l’habitude de la subordination, si nécessaire au maintien de l’ordre social ; elles y portent quelques capitaux, non pas en argent, mais en outils, en provisions variées ; enfin elles ne partagent avec aucun propriétaire les fruits d’un terrain vierge dont l’étendue surpasse pendant long-temps ce qu’elles sont en état de cultiver. À ces causes de prospérité on doit ajouter peut-être la plus grande de toutes, c’est-à-dire le désir qu’ont tous les hommes d’améliorer leur condition, et de rendre le plus heureux possible le sort qu’ils ont définitivement embrassé.

L’accroissement des produits, quelque rapide qu’il ait paru dans toutes les colonies fondées sur ce principe, aurait été plus remarquable encore si les colons avaient porté avec eux de vastes capitaux ; mais, nous l’avons déjà observé, ce ne sont pas les familles favorisées de la fortune qui s’expatrient : il est rare que les hommes qui sont en état de disposer d’un capital suffisant pour vivre avec quelque douceur dans le pays où ils sont nés, et où ils ont passé les années de leur enfance qui l’embellissent tant à leurs yeux, renoncent à leurs habitudes, à leurs amis, à leurs parens, pour courir les chances toujours incertaines, et supporter les rigueurs toujours inévitables d’un établissement nouveau. Voilà pourquoi les colonies, dans leurs commencemens, manquent de capitaux, et en partie pourquoi l’intérêt de l’argent y est si élevé.

À la vérité, les capitaux s’y forment plus vite que dans les états anciennement civilisés. Il semble que les colons, en quittant leurs pays natal, y laissent une partie de leurs vices : ils renoncent au faste, à ce faste qui coûte si cher en Europe, et qui sert si peu. Là où ils vont, on est forcé de ne plus estimer que les qualités utiles, et l’on ne consomme plus que ce qu’exigent les besoins raisonnables, qui sont moins insatiables que les besoins factices. Ils ont peu de villes, et surtout n’en ont point de grandes ;