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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

de l’être. La manufacture des Gobelins, loin d’être une source de richesses, je ne dis pas seulement pour le gouvernement, qui sait bien qu’il y perd, mais pour la nation tout entière, est pour elle une cause toujours subsistante de perte. La nation perd annuellement toute la valeur dont les consommations de cette manufacture, en y comprenant les traitemens, qui sont une de ses consommations, excèdent ses produits. On peut dire la même chose de la manufacture de porcelaines de Sèvres, et je crains qu’on n’en puisse dire autant de toutes les manufactures exploitées pour le compte des gouvernemens[1].

On assure que ce sacrifice est nécessaire pour fournir au prince le moyen de faire des présens et d’orner ses palais. Ce n’est point ici le lieu d’examiner jusqu’à quel point une nation est mieux gouvernée quand elle fait des présens et quand elle orne des palais ; je tiens pour assuré, puisqu’on le veut, que ces ornemens et ces présens sont nécessaires : dans ce cas, il ne convient pas à une nation d’ajouter aux sacrifices que réclament sa magnificence et sa libéralité, les pertes qu’occasionne un emploi mal combiné de ses moyens. Il lui convient d’acheter tout bonnement ce qu’elle juge à propos de donner ; avec moins d’argent sacrifié, elle aura probablement un produit aussi précieux ; car les particuliers fabriquent à moins de frais que le gouvernement.

Les efforts de l’état pour créer des produits ont un autre inconvénient ; ils sont nuisibles à l’industrie des particuliers, non des particuliers qui traitent avec lui, et qui s’arrangent pour ne rien perdre ; mais à l’industrie des particuliers qui sont ses concurrens. L’état est un agriculteur, un manufacturier, un négociant qui a trop d’argent à sa disposition, et qui n’est pas assez intéressé au succès de ses entreprises industrielles. Il peut consentir à vendre un produit au-dessous du prix coûtant et recommencer sur le même pied, parce que la perte qui en résulte ne sort pas de la poche de celui qui dirige l’opération. Il peut consommer, produire, accaparer en peu de temps une quantité de produits telle, que la proportion

  1. Il en est de même des entreprises commerciales dirigées par le gouvernement. Dans la disette éprouvée en 1816 et 1817, le gouvernement français fit des achats de blé dans l’étranger ; le blé monta à un taux excessif dans l’intérieur ; et quoique le gouvernement vendit son gain un peu au-dessous du cours, il le vendit encore à un taux très-élevé. Des particuliers auraient fait des bénéfices considérables dans cette circonstance. Le gouvernement y perdit plus de 21 millions. (Rapport au Roi, du 24 décembre 1818.)