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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

blé ou l’aliment, quel qu’il soit, qui fait le fonds de la nourriture d’un peuple, mérite quelques considérations particulières.

Par tout pays les habitans se multiplient en proportion des subsistances. Des vivres abondans et à bon marché favorisent la population ; la disette produit un effet contraire[1] : mais ni l’un ni l’autre de ces effets ne saurait être aussi rapide que la succession des récoltes. Une récolte peut excéder d’un cinquième, peut-être d’un quart, la récolte moyenne ; elle peut lui rester inférieure dans la même proportion ; mais un pays comme la France, qui a trente millions d’habitans cette année, ne saurait en avoir trente-six l’année prochaine ; et, s’il fallait que leur nombre tombât à vingt-quatre-millions dans l’espace d’une année, ce ne pourrait être sans d’effroyables calamités. Par un malheur qui tient à la nature des choses, il faut donc qu’un pays soit approvisionné dans les bonnes années avec surabondance, et qu’il éprouve une disette plus ou moins sévère dans les mauvaises années.

Cet inconvénient, au reste, se fait sentir pour tous les objets de sa consommation ; mais la plupart n’étant pas d’une nécessité indispensable, la privation qu’on en éprouve pour un temps, n’équivaut pas à la privation de la vie. Le haut prix d’un produit qui vient à manquer, excite puissamment le commerce à le faire venir de plus loin et à plus grands frais : mais quand un produit est indispensable, comme le blé ; quand un retard de quelques jours dans son arrivage, est une calamité ; quand la consommation de ce produit est tellement considérable, qu’il n’est pas au pouvoir des moyens commerciaux ordinaires d’y suffire ; quand son poids et son volume sont tels, qu’on ne peut lui faire subir un trajet un peu long, surtout par terre, sans tripler ou quadrupler son prix moyen, on ne peut guère alors s’en rapporter entièrement aux particuliers du soin de cet approvisionnement. S’il faut tirer le blé du dehors, il peut arriver qu’il soit rare et cher dans les pays même d’où l’on est dans l’usage de le tirer : le gouvernement de ces pays peut en défendre la sortie, une guerre maritime en empêcher l’arrivage. Et ce n’est pas une denrée dont on puisse se passer, qu’on puisse attendre seulement quelques jours : le moindre retard est un arrêt de mort, du moins pour une partie de la population.

Pour que la quantité moyenne des approvisionnemens fût comme la récolte moyenne, il faudrait que chaque famille fît dans les années d’abondance un approvisionnement, une réserve égale à ce qui peut man-

  1. Voyez ci-après le chapitre 11 du livre II.