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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XVII.

que le regret d’avoir dépensé, pendant plus de quarante ans, des sommes immenses pour entretenir une compagnie qui n’a jamais fait le moindre profit, qui n’a jamais rien payé aux actionnaires, ni à ses créanciers, du produit de son négoce, et qui, dans son administration indienne, n’a subsisté que d’un secret brigandage[1]. »

Le privilége exclusif d’une compagnie est justifiable, quand il est l’unique moyen d’ouvrir un commerce tout neuf avec des peuples éloignés ou barbares. Il devient alors une espèce de brevet d’invention, dont l’avantage couvre les risques d’une entreprise hasardeuse et les frais de première tentative ; les consommateurs ne peuvent pas se plaindre de la cherté des produits, qui seraient bien plus chers sans cela, puisqu’ils ne les auraient pas du tout. Mais, de même que les brevets d’invention, ce privilége ne doit durer que le temps nécessaire pour indemniser complètement les entrepreneurs de leurs avances et de leur risque. Passé ce terme, il ne serait plus qu’un don qu’on leur ferait gratuitement aux dépens de leurs concitoyens, qui tiennent de la nature le droit de se procurer les denrées dont ils ont envie, où ils peuvent et au plus bas prix possible.

On pourrait faire sur les manufactures privilégiées à peu près les mêmes raisonnemens que sur les priviléges relatifs au commerce. Ce qui fait que les gouvernemens se laissent entraîner si facilement dans ces sortes de concessions, c’est, d’une part, qu’on présente le gain sans s’embarrasser de rechercher comment et par qui il est payé ; et d’une autre part, que ces prétendus gains peuvent être, bien ou mal, à tort ou à raison, appréciés par des calculs numériques ; tandis que l’inconvénient, tandis que la perte, affectant plusieurs parties du corps social, et l’affectant d’une manière indirecte, compliquée et générale, échappent entièrement au calcul. On a dit qu’en économie politique, il ne fallait s’en rapporter qu’aux chiffres ; quand je vois qu’il n’y a pas d’opération détestable qu’on n’ait soutenue et déterminée par des calculs arithmétiques, je croirais plutôt que ce sont les chiffres qui tuent les états.

§ IV. — Des réglemens relatifs au commerce des grains.

Il semble que des principes aussi généralement applicables doivent être pour les grains ce qu’ils sont pour toutes les autres marchandises. Mais le

  1. Siècle de Louis XV.