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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

peuvent les modifier, non les détruire. C’est ainsi que la compagnie anglaise des Indes n’a pas été si mal que les trois ou quatre compagnies françaises qu’on a essayé d’établir à différentes époques[1] ; elle est en même temps souveraine, et les plus détestables souverainetés peuvent subsister plusieurs siècles ; témoin celle des Mamelucks sur l’Égypte.

Quelques autres inconvéniens d’un ordre inférieur marchent à la suite des industries privilégiées. Souvent un privilége exclusif fait fuir et transporte à l’étranger des capitaux et une industrie qui ne demandaient qu’à se fixer dans le pays. Dans les derniers temps du règne de Louis XIV, la compagnie des Indes, ne pouvant se soutenir malgré son privilége exclusif, en céda l’exercice à quelques armateurs de Saint-Malo, moyennant une légère part dans leur bénéfice. Ce commerce commençait à se ranimer sous l’influence de la liberté, et l’année 1714, époque où expirait entièrement le privilége de la compagnie, lui aurait donné toute l’activité que comportait la triste situation de la France ; mais la compagnie sollicita une prolongation de privilége et l’obtint, tandis que des négocians avaient déjà commencé des expéditions pour leur compte. Un vaisseau marchand, de Saint-Malo, commandé par un breton nommé Lamerville, arriva sur les côtes de France, revenant de l’Inde. Il voulut entrer dans le port ; on lui dit qu’il n’en avait pas le droit, et que ce commerce n’était plus libre. Il fut contraint de poursuivre son chemin jusqu’au premier port de la Belgique. Il entra dans celui d’Ostende, où il vendit sa cargaison. Le gouverneur de la Belgique, instruit du profit immense qu’il avait fait, proposa au même capitaine de retourner dans l’Inde avec des vaisseaux qu’on équiperait exprès. Lamerville fit en conséquence plusieurs voyages pour différens individus, et ce fut là l’origine de la compagnie d’Ostende[2].

Nous avons vu que les consommateurs français ne pouvaient que perdre à ce monopole, et certainement ils y perdirent ; mais du moins les intéressés devaient y gagner : ils y perdirent aussi, malgré le monopole du tabac et celui des loteries, et d’autres encore que le gouvernement leur accorda[3]. « Enfin, dit Voltaire, il n’est resté aux français, dans l’Inde,

  1. Ce fut sous le règne de Henri IV, en 1604, que fut établie en France la première compagnie pour le commerce des Indes orientales. Elle fut formée par un Flamand nommé Gérard-Leroi, et n’eut pas de succès.
  2. Taylor, Lettres sur l’Inde.
  3. Raynal, Hist. des étab. des Européens dans les Deux-Indes, liv. IV, § 19.