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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

Je crois néanmoins devoir m’arrêter encore sur deux genres de commerce qui ont été le sujet de beaucoup de réglemens : ce sera la matière de deux paragraphes particuliers.


§ III. — Des Compagnies privilégiées.


Le gouvernement accorde quelquefois à des particuliers, mais plus souvent à des compagnies de commerce, le droit exclusif d’acheter et de vendre certaines denrées, comme le tabac, par exemple, ou de trafiquer avec une certaine contrée, comme l’Inde.

Les concurrens se trouvant écartés par la force du gouvernement, les commerçans privilégiés élèvent leurs prix au-dessus du taux qu’établirait le commerce libre. Ce taux est quelquefois déterminé par le gouvernement lui-même, qui met ainsi des bornes à la faveur qu’il accorde aux producteurs, et à l’injustice qu’il exerce envers les consommateurs ; d’autres fois la compagnie privilégiée ne borne l’élévation de ses prix que lorsque la réduction dans la quotité des ventes lui cause plus de préjudice que la cherté des marchandises ne lui procure de profits. Dans tous les cas, le consommateur paie la denrée plus cher qu’elle ne vaut, et communément le gouvernement se réserve une part dans les profits de ce monopole.

Comme il n’y a pas de mesure fâcheuse qui ne puisse être et qui n’ait été appuyée par des argumens plausibles, on a dit que, pour commercer avec certains peuples, il y a des précautions à prendre, qui ne peuvent être bien prises que par des compagnies. Tantôt ce sont des forteresses, une marine à entretenir ; comme s’il fallait entretenir un commerce qu’on ne peut faire qu’à main armée ! Comme si l’on avait besoin d’armée quand on veut être juste, et comme si l’état n’entretenait pas déjà à grands frais des forces pour protéger ses sujets ! Tantôt ce sont des ménagemens diplomatiques à avoir. Les chinois, par exemple, sont un peuple si attaché à certaines formes, si soupçonneux, si indépendant des autres nations par l’éloignement, l’immensité de son empire et la nature de ses besoins, que ce n’est que par une faveur spéciale, et qu’il serait facile de perdre, qu’on peut négocier avec eux. Il faut nous passer de leur thé, de leurs soies, de leurs nankins, ou bien prendre les précautions qui seules peuvent continuer à nous les procurer. Or, des tracasseries suscitées par des particuliers pourraient troubler l’harmonie nécessaire au commerce qui se fait entre les deux nations.

Mais est-il bien sûr que les agens d’une compagnie, souvent très-hau-