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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

fier de telles mesures en suivant les principes du droit naturel. « Le patrimoine du pauvre, dit l’auteur de la Richesse des nations, est tout entier dans la force et l’adresse de ses doigts ; ne pas lui laisser la libre disposition de cette force et de cette adresse, toutes les fois qu’il ne l’emploie pas au préjudice des autres hommes, c’est attenter à la plus indisputable des propriétés. »

Cependant, comme il est aussi de droit natuel qu’on soumette à des règles une industrie qui, sans ces règles, pourrait devenir préjudiciable aux autres citoyens, c’est très-justement qu’on assujettit les médecins, les chirurgiens, les apothicaires, à des épreuves qui sont des garans de leur habileté. La vie de leurs concitoyens dépend de leurs connaissances : on peut exiger que leurs connaissances soient constatées ; mais il ne paraît pas qu’on doive fixer le nombre des praticiens, ni la manière dont ils doivent s’instruire. La société a intérêt de constater leur capacité, et rien de plus.

Par la même raison, les réglemens sont bons et utiles, lorsqu’au lieu de déterminer la nature des produits et les procédés de leur fabrication, ils se bornent à prévenir une fraude, une pratique qui nuit évidemment à d’autres productions, ou à la sûreté du public.

Il ne faut pas qu’un fabricant puisse annoncer sur son étiquette une qualité supérieure à celle qu’il a fabriquée ; sa fidélité intéresse le consommateur indigène à qui le gouvernement doit sa protection ; elle intéresse le commerce que la nation fait au-dehors, car l’étranger cesse bientôt de s’adresser à une nation qui le trompe.

Et remarquez que ce n’est point le cas d’appliquer l’intérêt personnel du fabricant, comme la meilleure des garanties. À la veille de quitter sa profession, il peut vouloir en forcer les profits aux dépens de la bonne foi, et sacrifier l’avenir dont il n’a plus besoin, au présent dont il jouit encore. C’est ainsi que dès l’année 1783 les draperies françaises perdirent toute faveur dans le commerce du levant, et furent supplantées par les draperies allemandes et anglaises[1].

Ce n’est pas tout. Le nom seul de l’étoffe, celui même de la ville où une étoffe est fabriquée, sont souvent une étiquette. On sait, par une longue expérience, que les étoffes qui viennent de tel endroit ont telle largeur,

  1. On a faussement attribué cet effet à la liberté introduite par la révolution ; on voit, dans le Tableau du Commerce de la Grèce, par Félix Beaujour, qu’il date de plus loin, malgré les réglemens.