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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XVII.

le talent nécessaires pour être fabricant et marchand d’étoffes de laine ou de soie, de quincailleries ou de liqueurs ; il faut encore qu’on ait acquis la maîtrise ou qu’on fasse partie d’un corps de métiers[1].

Les maîtrises sont de plus un moyen de police ; non de cette police favorable à la sûreté des particuliers et du public, et qui peut toujours s’exercer à peu de frais et sans vexation, mais de cette police que les mauvais gouvernemens emploient, quoiqu’elle coûte, pour conserver l’autorité dans leurs mains et pour l’étendre. Par des faveurs honorifiques ou pécuniaires, l’autorité dispose des chefs qu’elle donne à la corporation des maîtres. Ces chefs ou syndics, flattés du pouvoir et des distinctions attachés à leur grade, cherchent à les mériter par leur complaisance envers l’autorité. Ils se rendent son interprète auprès des hommes de leur profession ; ils lui désignent ceux dont on doit craindre la fermeté, ceux dont on peut employer la souplesse ; on colore ensuite tout cela de motifs de bien général. Dans les discours qu’on tient d’office ou qu’on fait tenir en public, on insère d’assez bonnes raisons pour maintenir des restrictions contraires à la liberté, ou pour en établir de nouvelles ; car il n’y a pas de mauvaise cause en faveur de laquelle on ne puisse apporter quelque bonne raison.

L’avantage principal, et celui sur lequel on appuie le plus volontiers, est de procurer au consommateur des produits d’une exécution plus parfaite, garantie qui est favorable au commerce national, et assure la continuation de la faveur des étrangers.

Mais cet avantage, l’obtient-on par les maîtrises ? Sont-elles une garantie suffisante que le corps de métier n’est composé, je ne dis pas seulement d’honnêtes gens, mais que de gens très-délicats, comme il faudrait qu’ils fussent pour ne jamais tromper ni leurs concitoyens ni l’étranger ?

Les maîtrises, dit-on, facilitent l’exécution des réglemens qui vérifient et attestent la bonne qualité des produits ; mais, même avec les maîtrises, ces vérifications et ces attestations ne sont-elles pas illusoires, et, dans le

  1. Lorsque l’industrie commençait à naître au moyen-âge, et que les négocians se trouvaient exposés aux avanies d’une noblesse avide et peu éclairée, les corps d’arts et métiers furent très-utiles pour procurer à l’industrie l’appui qui résulte d’une association. Ce genre d’utilité a complètement cessé depuis, parce que les gouvermens sont, de nos jours, ou trop éclairés pour altérer les sources qui alimentent leurs finances, ou trop puissans pour être obligés de ménager de telles associations.