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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XVII.

ignorer l’économie politique ; que de les supposer utiles aux intérêts des administrés.

Souvent on a considéré les droits d’entrée et les prohibitions comme une représaille : Votre nation met des entraves à l’introduction des produits de la nôtre ; ne sommes-nous pas autorisés à charger des mêmes entraves les produits de la vôtre ? tel est l’argument qu’on fait valoir le plus souvent, et qui sert de base à la plupart des traités de commerce ; on se trompe sur l’objet de la question. On prétend que les nations sont autorisées à se faire tout le mal qu’elles peuvent : je l’accorde, quoique je n’en sois pas convaincu ; mais il ne s’agit pas ici de leurs droits, il s’agit de leurs intérêts.

Une nation qui vous prive de la faculté de commercer chez elle, vous fait tort incontestablement : elle vous prive des avantages du commerce extérieur par rapport à elle ; et en conséquence, si, en lui fesant craindre pour elle-même un tort pareil, vous pouvez la déterminer à renverser les barrières qu’elle vous oppose, sans doute on peut approuver un tel moyen comme une mesure purement politique. Mais cette représaille, qui est préjudiciable à votre rivale, est aussi préjudiciable à vous-même. Ce n’est point une défense de vos propres intérêts que vous opposez à une précaution intéressée prise par vos rivaux ; c’est un tort que vous vous faites pour leur en faire un autre. Vous vous interdisez des relations utiles, afin de leur interdire des relations utiles. Il ne s’agit plus que de savoir à quel point vous chérissez la vengeance, et combien vous consentez qu’elle vous coûte[1].

Je n’entreprendrai pas de signaler tous les inconvéniens qui accompagnent les traités de commerce ; il faudrait en rapprocher les clauses qu’on y consacre le plus communément, avec les principes établis partout dans cet ouvrage. Je me bornerai à remarquer que presque tous les traités de

  1. Les républiques d’Amérique qui ont, si heureusement pour elles et pour l’Europe, secoué le joug de leurs métropoles, ont ouvert leurs ports aux étrangers ; elles n’ont point exigé de réciprocité, et elles sont plus riches et plus prospères qu’elles n’ont jamais été sous le régime prohibitif. Le commerce et les profits de la Havane ont doublé, dit-on, depuis que, par la force des choses et contre le système de sa métropole, cette colonie espagnole a admis tous les pavillons. Les vieux états de l’Europe ressemblent à ces paysans opiniâtres qui persistent dans leur routine et leurs préjugés, quoiqu’ils voient autour d’eux les bons effets d’un régime mieux entendu.