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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

genres qu’ils ont à supporter de la part de leurs ennemis. Remarquez que ce sont les nations les plus industrieuses qui reçoivent le plus de ces outrages, parce que ce sont les seules qui peuvent les supporter. On dit alors : Notre système est le bon, puisque la prospérité va croissant. Mais, lorsqu’on observe d’un œil éclairé les circonstances qui, depuis trois siècles, ont favorisé le développement des facultés humaines, lorsqu’on mesure des yeux de l’esprit les progrès de la navigation, les découvertes, les inventions importantes qui ont eu lieu dans les arts ; le nombre des végétaux, des animaux utiles propagés d’un hémisphère dans l’autre ; lorsqu’on voit les sciences et leurs applications qui s’étendent et se consolident chaque jour par des méthodes plus sûres, on demeure convaincu, au contraire, que notre prospérité est peu de chose comparée à ce qu’elle pourrait être, qu’elle se débat dans les liens et sous les fardeaux dont on l’accable, et que les hommes, même dans les parties du globe où ils se croient éclairés, passent une grande partie de leur temps et usent une partie de leurs facultés à détruire une portion de leurs ressources au lieu de les multiplier, et à se piller les uns les autres au lieu de s’aider mutuellement ; le tout faute de lumières, faute de savoir en quoi consistent leurs vrais intérêts[1].

Revenons à notre sujet. Nous venons de voir quelle est l’espèce de tort que reçoit un pays des entraves qui empêchent les denrées étrangères de pénétrer dans son intérieur. C’est un tort du même genre que l’on cause au pays dont on prohibe les marchandises : on le prive de la faculté de tirer le parti le plus avantageux de ses capitaux et de son industrie ; mais il ne faut pas s’imaginer qu’on le ruine, qu’on lui ôte toute ressource, comme Bonaparte s’imaginait le faire en fermant le continent aux produits de l’Angleterre. Outre que le blocus réel et complet d’un pays est une entreprise impossible, parce que tout le monde est intéressé à violer une semblable restriction, un pays n’est jamais exposé qu’à changer la nature de ses produits. Il peut toujours se les acheter

  1. On ne prétend pas dire ici qu’il soit à désirer que tous les genres de connaissances soient répandus dans tous les esprits, mais que chacun n’ait que des idées justes des choses dont il est appelé à s’occuper. Il n’est pas même nécessaire, pour retirer de très-heureux effets des lumières, qu’elles soient généralement et complètement répandues. Le bien qu’on en retire se proportionne à l’extension qu’elles prennent, et les nations jouissent du bonheur à différens degrés, à proportion des justes notions qu’elles se forment des choses qui leur importent le plus.