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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XVII.

situation des richesses générales, de même qu’il faut plus de voitures à une nation riche qu’à une nation pauvre. Quelles que soient les qualités brillantes ou solides de cette marchandise, elle ne vaut que d’après ses usages, et ses usages sont bornés. Ainsi que les voitures, elle a une valeur qui lui est propre, valeur qui diminue si elle est abondante par rapport aux objets avec lesquels on l’échange, et qui augmente si elle devient rare par rapport aux mêmes objets.

On dit qu’avec de l’or et de l’argent on peut se procurer de tout : c’est vrai ; mais à quelles conditions ? Ces conditions sont moins bonnes quand, par des moyens forcés, on multiplie cette denrée au-delà des besoins ; de là les efforts qu’elle fait pour s’employer au dehors. Il était défendu de faire sortir de l’argent d’Espagne, et l’Espagne en fournissait à toute l’Europe. En 1812, le papier-monnaie d’Angleterre ayant rendu superflu tout l’or qui servait de monnaie, et les matières d’or en général étant dès-lors devenues surabondantes par rapport aux emplois qui restaient pour cette marchandise, sa valeur relative avait baissé dans ce pays-là ; les guinées passaient d’Angleterre en France, malgré la facilité de garder les frontières d’une île, et malgré la peine de mort infligée aux contrebandiers.

À quoi servent donc tous les soins que prennent les gouvernemens pour faire pencher en faveur de leur nation la balance du commerce ? à peu près à rien, si ce n’est à former de beaux tableaux démentis par les faits[1].

Pourquoi faut-il que des notions si claires, si conformes au simple bon sens, et à des faits constatés par tous ceux qui s’occupent de commerce, aient néanmoins été rejetées dans l’application par tous les gouvernemens de l’Europe[2], et combattues par plusieurs écrivains qui ont fait preuve

  1. Les tableaux de la balance du commerce anglais, depuis le commencement du dix-huitième siècle jusqu’au papier-monnaie de 1798, présentent chaque année des excédans plus ou moins considérables, reçus en numéraire par l’Angleterre, et dont la totalité se monte à la somme énorme de 317 millions sterling (plus de 8 milliards de francs), En ajoutant à cette somme le numéraire qui se trouvait déjà dans le pays lorsque le siècle a commencé, on trouvera que l’Angleterre, à ce compte, doit posséder un numéraire approchant de bien près 400 millions sterling. Comment se fait-il que les évaluations ministérielles les plus exagérées n’aient pu trouver en Angleterre que 47 millions de numéraire, à l’époque même où il y en avait le plus ? (Voyez ci-dessus, chapitres 3.)
  2. Tous se sont conduits d’après la persuasion où ils étaient, en premier lieu, que les métaux précieux sont la seule richesse désirable, tandis qu’ils ne jouent qu’un rôle secondaire dans la production des richesses ; et, en second lieu, qu’il était en leur pouvoir d’en faire entrer d’une manière régulière et constante par des moyens forcés. Nous avons vu, par l’exemple de l’Angleterre (dans la note précédente), combien peu ils y ont réussi. Le spectacle imposant de l’opulence de cette nation n’est donc pas dû à la balance avantageuse de son commerce. À quoi doit-on l’attribuer ? répondra-t-on ; à l’immensité de ses productions. À quoi sont-elles dues ? je le répète : à l’épargne qui a grossi les capitaux des particuliers, au génie de la nation, éminemment porté vers l’industrie et les applications utiles ; à la sûreté des personnes et des propriétés, à la facilité de la circulation intérieure, et à une liberté industrielle qui, malgré ses entraves, est, à tout prendre, supérieure à celle des autres états de l’Europe.