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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

On insiste ; on prétend que si l’exportation de cent mille francs de numéraire n’avait pas eu lieu, la France possèderait cette valeur de plus. On croit que la nation a perdu deux fois cent mille francs : l’argent exporté d’abord, la marchandise consommée ensuite ; tandis qu’en consommant des étoffes d’un produit entièrement indigène, elle n’aurait perdu qu’une fois cent mille francs. — Je répète que l’exportation des espèces n’a pas été une perte, qu’elle a été balancée par une valeur importée, et qu’il est tellement vrai qu’il n’y a eu que les cent mille francs de marchandises consommées qui aient été perdues, que je défie qu’on trouve de perdans autres que les consommateurs de la marchandise consommée. S’il n’y a pas eu de perdant, il n’y a pas eu de perte.

Vous voulez, dites-vous, empêcher les capitaux de sortir : vous ne les arrêterez point en emprisonnant le numéraire. Celui qui veut envoyer ses capitaux au dehors, y réussit aussi bien en expédiant des marchandises dont l’exportation est permise[1]. Tant mieux, dites-vous ; ces marchandises auront fait gagner nos fabricans. Oui ; mais la valeur de ces marchandises exportées est, pour le pays, une perte de capital, puisqu’elle n’entraîne point de retours. Elle féconde l’industrie étrangère au lieu de la vôtre. Voilà un vrai sujet de crainte. Les capitaux cherchent les lieux où ils trouvent de la sûreté et des emplois lucratifs, et abandonnent peu à peu les lieux où l’on ne sait pas leur offrir de tels avantages ; mais, pour déserter, ils n’ont nul besoin de se transformer en numéraire.

Si l’exportation du numéraire ne fait rien perdre aux capitaux de la nation, pourvu qu’elle amène des retours, son importation ne leur fait rien gagner. En effet, on ne peut faire entrer du numéraire sans l’avoir acheté par une valeur équivalente, et il a fallu exporter celle-ci pour importer l’autre.

On dit à ce sujet que si l’on envoie à l’étranger des marchandises au lieu de numéraire, on procure par là à ces marchandises un débouché

  1. Quand on fait sortir des capitaux en prenant des lettres de change sur l’étranger, cela revient exactement au même : on ne fait que se substituer à la place de celui qui y a fait des expéditions de marchandises. Il vous donne le droit d’en recevoir la valeur, et cette valeur reste à l’étranger.