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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XVII.

Qu’un Français, négociant en marchandises d’outre-mer, envoie dans l’étranger un capital de cent mille francs en espèces pour avoir du coton : son coton arrivé, il possède cent mille francs en coton au lieu de cent mille francs en espèces (sans parler du bénéfice). Quelqu’un a-t-il perdu cette somme de numéraire ? Non, certes ; le spéculateur l’avait acquise à titre légitime. Un fabricant de cotonnades achète cette marchandise, et la paie en numéraire : est-ce lui qui perd la somme ? Pas davantage. Au contraire, cette valeur de cent mille francs sera portée à deux cent mille francs entre ses mains ; ses avances payées, il y gagnera encore. Si aucun des capitalistes n’a perdu les cent mille francs du numéraire exporté, qui peut dire que l’état les a perdus ? Le consommateur les perdra, dira-t-on. En effet, les consommateurs perdront la valeur des étoffes qu’ils achèteront et qu’ils consommeront ; mais les cent mille francs de numéraire n’eussent pas été exportés, et les consommateurs auraient consommé en place des étoffes de lin et de laine, pour une valeur équivalente, qu’il y aurait toujours eu une valeur de cent mille francs détruite, perdue, sans qu’il fût sorti un sou du pays. La perte de valeur dont il est ici question n’est pas le fait de l’exportation, mais de la consommation qui aurait eu lieu tout de même. Je suis donc fondé à dire que l’exportation du numéraire n’a rien fait perdre à l’état[1].

  1. Un particulier qui fait son inventaire deux années de suite, peut se trouver plus riche la seconde année que la première, quoiqu’il se trouve posséder moins de numéraire lors de son deuxième inventaire. Supposons que le premier contienne les articles suivans :
    En terrains et bâtimens 40,000 fr.
    En machines et mobilier 20,000
    En marchandises au cours 3,000
    En bonnes créances, les dettes déduites 3,000
    Et finalement en espèces 20,000
    Le montant de sa propriété sera de 100,000 fr.

    Supposons encore qu’à l’inventaire suivant, les mêmes articles donnent les sommes suivantes :

    En terrains et bâtimens 40,000 fr.
    En machines et mobilier 23,000
    En marchandises au cours 30,000
    En bonnes créances, les dettes déduites 10,000
    Et finalement en espèces 3,000
    Sa propriété, s’élevant à 110,000 fr.
    se trouvera augmenté de 10 mille francs, quoiqu’il ne possède en numéraire que le quart de ce qu’il avait auparavant.

    Étendez par la pensée, et dans des proportions différentes, cette supposition à tous les particuliers d’un pays, et le pays se trouvera évidemment plus riche ; quoique possédant beaucoup moins de numéraire.