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chaque lieu, suivant les personnes. Elle est inique et vaine, par cela seul qu’elle ne tient Aucun compte des conditions de productivité et de sécurité dans lesquelles chaque prêt s’effectue : on ne saurait imposer avec justice une même limite à la rémunération de capitaux dont la productivité n’est pas la même ou qui courent des risques différents ; dans tel cas» la limite, trop faible, lésera le prêteur, dans tel autre, elle sera trop élevée et ne protégera pas l’emprunteur.

Voici une affaire très productive et comportant de sérieux aléas qui ne saurait trouver " de capitaux qu’à un taux élevé d’intérêt : si la loi interdit les prêts au-dessus de 5 p. 100, l’affaire est rendue impossible ou les intérêts du prêteur sont sacrifiés. D’autre part, cette même loi ne prête aucun secours à l’emprunteur dans les cas nombreux où le capital ne peut produire que 2 ou 3 p. 100. Enfin, s’il est permis de prêter à un prodigue, la loi ne met pas obstacle à sa ruine, quel que soit le taux maximum qu’elle tolère.

L’expérience montre d’ailleurs qu’il y a impossibilité pratiquée édicteretà maintenir une limitation du taux de l’intérêt soit parce que l’on provoque des collusions et des déguisements qu’il est difficile ou impossible de constater, soit parce qu’on se heurte à des nécessités économiques inéluctables qui appellent de fréquentes exceptions à la règle commune.

Quelle loi a reçu plus de dérogations que la loi française du 3 septembre 1807 limitant Tintérèt conventionnel à 3 p. 100 en matière civile et à 6 p. 100 en matière de commerce ?


Et d’abord, pour apprécier la portée de cette loi, il est à remarquer qu’elle ne concerne que les prêts de capitaux en argent. Les baux à ferme ou à loyer, les contrats d’assurance, de prêts à la grosse n’y sont pas soumis, non plus que les stipulations d’intérêt pour un prix de vente ou une dot ; enfin, — et ce dernier trait est caractéristique, — la limitation ne s’applique pas aux prêts de denrées et autres choses fongibles, c’est-à-dire aux prêts de capitaux circulants.

Mais, même en ce qui concerne les prêts de capitaux sous forme de monnaie, la loi de 1807 a reçu de nombreuses atteintes. Pendant les jours difficiles de 1814 on dut, par deux décrets du 15 et du 18 janvier, et jusqu’au 1 er janvier de l’année suivante, suspendre la loi de 1807.

Bientôt après, la jurisprudence admettait les commerçants et les banquiers à s’affranchir de la* limite légale en matière d’escompte et les autorisait à percevoir un droit de commission en sus de l’intérêt, dans les INTÉRÊT

comptes courants et dans les crédits ouverts. Le principe de la limitation du taux de l’intérêt était ainsi fortement ébranlé ; ue moment vint où le législateur lui-même y apporta les plus notables exceptions. Ce fut d’abord en faveur des monts-depiété : d’après la loi du 24 juin 1831, le taux d’intérêt à exiger pour les prêts faits par ces établissements est réglé par le décret d’institution de chacun d’eux. L’on sait que ce taux est toujours très supérieur au maximum légal.

La loi du 9 juin 1857 donna à la Banque de France le droit d’élever au-dessus de 6 p. 100 le taux de ses escomptes et l’intérêt de ses avances.

Une circulaire du garde des sceaux (4 novembre 1857) invita les procureurs généraux à surseoir à toute poursuite pour délit d’usure,

La loi du 10 juin a déclaré libre le taux de l’intérêt en matière de prêts hypothécaires sur navires.

Enfin, la loi du 12 janvier 1886 a tenté de mettre fin à ces incohérences en supprimant toute limitation au taux de l’intérêt en matière commerciale.

L’hommage ainsi rendu aux lois économiques demeure toutefois incomplet, puisque le maximum de o p. 100 reste imposé en matière civile.

Au surplus, une distinction entre le prêt civil et le prêt commercial est injustifiable au point de vue économique, attendu que, soit que l’on considère la productivité, soit que l’on considère le risque, il n’existe aucune différence essentielle entre ces deux sortes de prêts. D’une part, en effet, combien d’entreprises tenues pour non commerciales donnent plus de bénéfices que maintes autres qui sont déclarés œuvres de commerce, et, d’autre part, il y a, comme on l’a dit, des emprunteurs non négociants dont la solvabilité fait courir aux prêteurs plus de risques que les tempêtes.

Les exceptions rendues nécessaires par la réglementation du taux de l’intérêt indiquent l’inanité de cette mesure. Pour montrer plus clairement encore qu’en ces matières le législateur se heurte à des forces économiques plus puissantes que les lois humaines, on pourrait recourir à la longue série des lois relatives aux emprunts de VÉtat et y relever les cas nombreux où il a dû s’affranchir lui-même de la limite qu’il impose à tous. Il ne pouvait en être autrement. Le taux d’intérêt qu’un État est obligé d’offrir à ses prêteurs ne saurait être réglé par une limite artificielle, il est déterminé par la quantité de capitaux disponibles, le taux