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missaires, était détestée et abandonnée. Pourtant, l’institution de Colbert persista à durer dans ses principes. Elle constituait pour le pouvoir un instrument commode qu’il ne consentit pas à laisser échapper de ses mains. Mais qui pourrait dire ce qu’il en coûta à notre marine ?

En 1784, le 31 octobre, fut édictée une nouvelle ordonnance concernant les classes. C’est un véritable code de la matière ; elle inspira les décrets des 13 et 15 mai 1791 et la loi du 3 brumaire an IV ; elle forme donc la base de la législation qui nous régit encore aujourd’hui. Il est exact de dire que Colbert à institué le régime des classes, et que l’ordonnance de 1784 et la loi de l’an IV ont institué l’inscription maritime. Cette dernière loi est celle qui a établi la durée de l’assujetissement à l’inscription définitive, et l’a fixée entre 18 et SO ans. Le but commun de l’ordonnance et de la loi était d’assurer la dépendance des matelots vis-à-vis de l’État tout en répartissant plus équitablement qu’autrefois les charges de la levée. Dans ce but, la loi de brumaire an IV établissait un nouvel ordre d’appel, atteignant successivement les célibataires, les veufs sans enfants, les hommes mariés et les pères de famille. Mais il se trouva, en fin de compte, que le traitement était aussi peu égal qu’auparavant. À force de tâtonnements, par améliorations successives, on est parvenu à rendre la charge plus supportable pour les populations maritimes ; mais ce fut en abandonnant complètement le système des classes de Colbert et le système des rôles de la loi de brumaire an IV ; on porta à sept années consécutives, dont deux de congé renouvelable ou de réserve, l’assujetissement de l’inscrit définitif au service militaire. Puis, l’inscrit ne devait plus servir qu’en cas de mobilisation générale ou partielle nécessitée par un urgent besoin. On se rapprochait donc absolument du système suivi pour l’armée de terre, et actuellement, les conditions de la dette militaire n’offrent plus que de très légères différences entre l’armée terrestre et l’armée navale. Ce changement fut l’effet de la circulaire du 9 avril 1835, des décrets du 30 septembre 1860, 25 juin 1861, 22 octobre 1863, 27 février 1866 et 31 décembre 1872. L’ensemble a été codifié par un décret du 5 juin 1883. On peut remarquer que l’inscription maritime, établie par une loi du 3 brumaire an IV, a été modifiée, en plusieurs de ses parties essentielles, au point de ne plus être reconnaissable, par de simples décrets. D’autre part, les écoles spéciales de la marine se sont développées ; il y en a, actuellement, presque pour chacune des branches du service maritime. En en voyant rémunération, il parait incontestable que l’inscription maritime ne suffit pas à elle seule à faire face à toutes les nécessités du service de la flotte* . Critique.

Elle est même insuffisante pour le recrutement ; car il a fallu instituer des primes de rengagement, mettre à la disposition de la marine un certain nombre de recrues tirées des classes de la nation qui ne fournissent pas à l’inscription maritime, fonder des écoles de mousses où sont formés des jeunes gens qui n’appartiennent pas aux populations maritimes. L’institution ne remplit donc pas son but. Le seul avantage des recrues maritimes sur les autres recrues, c’est d’avoir le pied marin, de ne pas être en proie au mal de mer pendant les premiers jours qui suivent l’embarquement ; mais il paraît bien certain 1 que pour tout le reste du service, les inscrits, sur les navires modernes, ont besoin d’une éducation préparatoire aussi longue que celle des autres recrues. Dès lors, est-il besoin de maintenir, uniquement en vue du recrutement de la flotte, une organisation qui fait des classes maritimes un peuple à part dans la nation ? Alors surtout qu’il est admis comme un principe incontestable que tout citoyen doit payer l’impôt du sang selon ses forces et ses aptitudes ? Les recrues de l’armée de terre sont versées les unes dans l’artillerie, les autres dans la cavalerie, les autres dans l’infanterie, suivant ce qu’on sait ou ce qu’on augure de leurs aptitudes. La même autorité qui fait ce départ ne pourrait-elle aussi verser dans les équipages de la flotte les hommes jugés aptes au service maritime ? Sortant de ce service, ceux-ci ne pourraient-ils être maintenus dans la réserve maritime comme les autres le sont dans la réserve de l’armée de terre ? Et qu’est-il besoin d’inscription maritime pour cela ?

L’inscription maritime a des conséquences regrettables au point de vue juridique et au point de vue économique. Au point de vue juridique, il est étrange que, dans un pays d’égalité comme le nôtre, tout une partie de la population soit soumise à des règles d’exception, même dans l’accomplissement d’actes purement civils. Au point de vue économique l’inscription maritime est une entrave au libre développement de l’industrie maritime. Beaucoup de jeunes gens qui seraient disposés à s’y adonner reculent devant la sujétion qui leur serait imposée ; les armateurs n’ont pas une latitude suffisante pour composer leurs équipages et pour traiter avec les. hommes qui les composent ; le salaire du matelot n’est pas librement débattu et fixé d’après les lois économiques ; des