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rière pour étendre indéfiniment le cercle des dépenses publiques, a bien soin d’oublier igae l’impôt doit y pourvoir, avec son cortège de souffrances et d’injustices forcées. Indépendamment du vice de construction qui vient d’être signalé, les définitions ci-dessus sont inexactes dans leur principe même. L’impôt n’est pas un échange, ni une prime d’assurance, ni une avance. Le contribuable ne donne pas à l’État autant qu’il en reçoit ; l’équivalence des services et des écus s’existe, pour ainsi dire, jamais. Quels sont les membres qui reçoivent le plus dans une société civilisée ? Les pauvres, les vieillards, les infirmes, les déshérités. Des hospices les recueillent, les nourrissent, les habillent, les soignent, des bureaux de bienfaisance les secourent, des écoles gratuites instruisent leurs enfants, etc. En retour, que payent-ils àTÉtat ? Bien, ou presque rien.

Yoilà donc toute une catégorie de citoyens quireçoit de l’État l’existence même, sans acquitter à peu près aucune taxe entre ses mains.

A d’autres degrés de l’échelle sociale, le même fait se reproduit, avec moins d’intensité toutefois : « Le cultivateur, dit Voltaire, demande pourquoi on lui ôte la moitié de son bien pour payer des soldats. On lui yépond qu’outre les soldats, il faut payer les arts et le luxe ; que rien n’est perdu ; que chez les Perses, on assignait à la reine des villes et des villages pour payer sa ceinture, ses pantoufles et ses épingles. 11 réplique qu’il ne sait pas l’histoire de Perse, et qu’il est très fâché qu’on lui prenne la moitié de son bien pour une ceinture, des épingles et des souliers ; qu’il les fournirait à bien meilleur marché... On lui fait entendre raison en le mettant dans un cachot. S’il résiste, on le fait pendre, et cela rend ses voisins infiniment plus accommodants. » [Dictionnaire philosophique. V° Impôt. ) Essayez donc de persuader à ce paysan que l’impôt n’est pour lui qu’un échange. Quant au riche, il paye souvent plus, non pas qu’il ne doit, mais qu’il ne coûte à la société : sa protection exige proportionnellement peu de frais. Comme dit Proudhon : « Est-ce que la vie et la liberté du riche coûtent plus à défendre que celle du pauvre ? Est-ce que l’ordre est plus menacé par les bourgeois que par l’artisan et le compagnon ? Mais la police à plus à faire avec quelques centaines d’ouvriers sans travail qu’avec vingt-mille gros électeurs ! Est-ce enfin que le gros rentier jouit plus que le pauvre des fêtes nationales, de la propreté de rues, de la beauté des monuments ?

Mais quand le riche veut se réjouir, 

il fuit les mâts de cocagne !... » Tout au plus pourrait-on dire qu’il y a

— IMPOT

échange collectif, que le total des impôts de tout le monde équivaut au total des dépenses publiques. Mais alors il faudrait encore admettre que les services rendus par l’Etat possèdent toujours une valeur égale à celle des perceptions et que les gouvernements ont oublié l’art de prendre beaucoup pour rendre peu.

La définition dont nous avons besoin doit donc être cherchée dans un autre ordre d’idées.

Jean-Baptiste Say dit que l’impôt est une calamité *. Sans aller aussi loin, on peut dire que c’est une nécessité. « Il y a deux choses, d’après Franklin, auxquelles nous sommes tous sujets sans exception : mourir et payer l’impôt. » Un petit nombre de citations dans ce sens nous conduiront au but.

M. Paul Leroy-Beaulieu, dans son Traité delà science des finances, écrit : « Si Ton veut une formule simple, on doit se contenter de celle-ci : L’impôt est la contribution exigée de chaque citoyen pour sa part dans les dépenses du gouvernement. » Voilà, en effet, une excellente formule que nous utiliserons bientôt.

Ricardo appelle l’impôt : « Cette portion du produit de la terre et de l’industrie qu’on met à la disposition du gouvernement. »

D’après Rossi, « l’impôt est la demande annuelle que fait l’État d’une portion de leur revenu à tous ceux qui sont censés en avoir un ». Adam Smith, dans sa Richesse des nations, avait dit : « L’impôt est la contribution de tous les membres de la société, ou d’une partie de ses membres, aux dépenses des gouvernements. »

Enfin, M. de Parieu, dans son Traité des impôts : « L’impôt est le prélèvement opéré par l’Etat sur les fortunes, ou sur le travail des citoyens, pour subvenir aux dépenses publiques. »

Toutes ces définitions, on le voit, ont un l . Jean-Baptiste Say, avec la rigueur quelque peu intransigeante de son esprit, n’a jamais pu pardonner à l’impôt d’avoir trop souvent servi d’instrument d’abus et d’exaction dans les mains des gouvernements passés. Aussi l’accable-t-il, à tout propos, d’épithètes injurieuses qui nuisent au mérite de ses développements scientifiques. Ici, il le compare au cauchemar des rêves ; là, il l’accuse de ruiner l’industrie, de favoriser les superstitions, de provoquer au mensonge, de dépraver les mœurs, d’inciter à la paresse, de ramener le paysan à la vie des brutes, etc.

Sans doute, il ajoute quelquefois que ces conséquences ne sont pas universelles : souvent même il spécifie nommément l’impôt qu’il qualifie si durement. Mais, en somme, aucun d’eux ne trouve grâce à ses yeux ; tous sont successivement englobés dans sa réprobation. Il en résulte, comme nous le disions, que les chapitres de son Cours d’économie politique consacrés aux questions fiscales, malgré leur mérite et leur rectitude, perdent de ce fait une partie de leur autorité. (Voir spécialement la VIII e partie, eh. ym et xi.)