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rection : encore faut-il ajouter que cet esclave fait preuve dans l’exécution de sa tache d’une puissance, d’une précision et d’une rapidité dont son maître serait incapable. Sans doute, les machines ne travaillent pas gratuitement ; il faut les fabriquer, les entretenir et les alimenter ; de nombreux ouvriers et d’immenses capitaux sont exclusivement employés à produire les métaux et la houille nécessaires a ces monstres. Mais, quelles que soient les défalcations à faire, les services rendus restent considérables.

En même temps, cette invention exerçait sur la productivité une influence indirecte des plus heureuses parce qu’elle nécessitait une modification profonde de l’organisation industrielle. Comme, en effet, l’emploi de machines puissantes entraînait de grands frais, les entreprises de dimensions moyennes se trouvèrent souvent hors d’état de les utiliser ; elles cédèrent alors la place à des combinaisons nouvelles. De grandes entreprises se fondèrent, disposant, au besoin par voie d’association, de capitaux abondants, réunissant sous les ordres d’un directeur unique un personnel nombreux, mettant en œuvre l’outillage le plus perfectionné. Nous avons ainsi assisté, surtout depuis cinquante années, à une évolution très marquée vers la grande industrie. Il en est résulté de nombreux avantages : meilleure distribution des tâches, sélection raisonnéedu personnel chargé des fonctions de direction, économie sur les frais d’installation et sur les frais généraux, avantages dont" l’effet immédiat a été d’accroître le rendement de l’industrie. Mais on se tromperait grandement si l’on croyait que ces causes bienfaisantes ont agi avec une égale puissance à l’égard de toutes les industries. Il s’en faut de beaucoup, en effet, que, dans toutes les branches de la production, les inventions modernes puissent être appliquées d’une façon également profitable et que l’organisation du travail se prête aux mêmes transformations. A cet égard, il convient de classer les diverses industries en trois groupes : ° Les industries manufacturières, de cornmer ce et des transports forment un premier groupe remarquable par son aptitude à profiter largement des inventions et à se plier a toutes les exigences dans la distribution des taches. C’est à la nature de leurs opérations qu’elles doivent cette supériorité. Ayant à transformer des matières premières déjà tirées du sol, ou bien à échanger et à transporter les richesses produites, elles sont à peu près maîtresses du temps et de l’espace. Rien ne s’oppose, en général, à ce qu’elles choisissent leur emplacement, a ce qu’elles s’étendent ou croissent en nombre autant qu’il est nécessaire. Rien non plus ne les empêche de se livrer au travail sans interruption et de répéter un nombre indéfini de fois les mêmes actes. Elles peuvent donc, en quelque sorte, multiplier à leur gré les avantages que procure une invention, jusqu’à ce que les demandes des consommateurs soient entièrement satisfaites. La distribution des tâches ne trouve pas moins de latitude dans ces industries. Sous la seule condition de former leur personnel aux fonctions nouvelles qui vont lui être confiées, elles peuvent prendre tous les arrangements nécessaires pour l’application des perfectionnements. La nature ne leur oppose aucun obstacle. Dans une manufacture, dansune usine, dans un grand magasin, dans une entreprise de chemin de fer ou de navigation, on peut, si la puissance de l’outillage ou l’étendue de la clientèle l’exige, diviser le travail entre des milliers d’ouvriers aussi bien qu’entre trente ou quarante. Ces raisons expliquent pourquoi les manufactures et les entreprises de transport ont tiré si bon parti des machines, pourquoi ces mêmes entreprises et l’industrie commerciale ont poussé si avant l’organisation de la grande production. Dans l’évolution qui s’est opérée depuis le commencement du siècle, elles tiennent incontestablement la tête. Nous rappelions, il y a un instant, l’existence des grands magasins (voy. ce mot), et des compagnies de chemins de fer ou de navigation ; on sait que des faits aussi importants s’observent dans les manufactures : l’industrie cotonnière n’en est plus à compter les filatures de 120 000 et même 200 00O broches et, parmi les établissements métallurgiques, il en est, comme le Creusot, quf mettent en œuvre des dizaines de mille chevaux-vapeur et groupent autour d’eux toute une population d’ouvriers.

° L’agriculture, au contraire, est de toutes les branches de la production, celle à qui, pour le moment, les inventions sont le moins profitables et on la division des tâches rencontre le plus d’obstacles.

Loin d’être maîtresse du temps et de l’espace, l’agriculture est, sous ce double point de vue, dans l’étroite dépendance de la nature. Quoi qu’elle fasse, il lui faut bien se soumettre aux lois du renouvellement des saisons, et quelque intérêt qu’elle ait à multiplier les exploitations, ellene peut dépasser les bornes du territoire dont elle dispose. Toute invention en matière agricole est donc nécessairement limitée dans son effet, puisque, dans un temps donné, on ne saurait l’appliquer qu’un certain nombre de fois et sur Une