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bénéfice qui ne correspond à aucun travail et qui est le prix que paye chaque fermier pour « l’exploitation des facultés productives et impérissables du sol ». Le taux de cette rente doit s’élever avec les progrès de la civilisation. Cette théorie de la rente est l’une de celles sur lesquelles on a le plus discuté. Nous renvoyons le lecteur, pour l’examen de cette importante question, à l’article qui lui est consacré dans ce dictionnaire. (V. Rente [loi de la].)

La conséquence de l’élévation de la rente est la hausse du prix des subsistances, partant celle des salaires. Ricardo, admettant les théories de Malthus sur la population, estimait que l’offre de travail serait toujours et fatalement surabondante, et que le salaire qu’exigeraient les ouvriers, serait le strict nécessaire pour vivre et faire vivre leur famille.

« Le prix naturel du travail, dit-il, est celui qui fournit aux ouvriers, en général, le moyen de subsister et de perpétuer leur espèce sans accroissement ni diminution. » La hausse des salaires suivra la hausse des prix des subsistances, mais elle ne sera qu’apparente, étant donnée la hausse des marchandises. Telle est la théorie connue sous le nom de théorie du salaire naturel. La conclusion à laquelle Ricardo est conduit logiquement, c’est que « la condition de l’ouvrier empirera, en général, tandis que celle du propriétaire foncier s’améliorera ». Les faits sont venus démentir la théorie du salaire, naturel. (V. Salaire).

Telles sont les idées fondamentales de cette œuvre qui fut accueillie avec enthousiasme. Bientôt, pourtant, les théories nouvelles trouvèrent des adversaires redoutables. J.-B. Say, Bastiat, Carey, Sismondi (voy. ces noms), attaquèrent la théorie de la rente. Le socialisme s’en empara pour prouver l’illégitimité de la propriété individuelle. Il s’empara aussi de la théorie du salaire naturel, et il en fit la loi d’airain (V. Socialisme). On comprend donc qu’un socialiste contemporain ait pu dire : « Nous bâtissons sur Ricardo comme sur notre plus solide fondement[1] ».

L’influence de Ricardo, en Angleterre, fut énorme ; il devint le chef d’une véritable école d’économistes et eut des disciples brillants.

Quand on examine les théories de Ricardo, on a, souvent, le tort, au lieu de rechercher le fond même de sa pensée en se reportant à son œuvre prise dans son entier, de raisonner sur telle ou telle phrase de quelques lignes, de s’attacher, uniquement, à telle ou telle formule plus ou moins défectueuse : aussi que d’erreurs lui a-t-on prêtées ! Ricardo, il ne faut pas l’oublier, n’a pas voulu écrire un manuel ; il n’écrivait pas pour la masse du public, mais pour les hommes les plus compétents dans la science dont il s’occupait, pour les Mill, les Malthus, les J.-B. Say. Écrivant pour ces savants, il le faisait en phrases concises, se référant par la pensée à tout ce qu’il avait précédemment démontré. Et cela est si vrai, que, si nous en croyons Sismondi, Ricardo aurait déclaré lui-même « qu’il n’y avait pas plus de vingt-cinq personnes en Angleterre qui eussent entendu son livre »…

J.-B. Say, dans le discours préliminaire de son Traité, a sagement apprécié la méthode de Ricardo. Montrant à quelles erreurs sa logique implacable l’avait entraîné : « Peut-être est-on fondé, dit-il, à reprocher à David Ricardo de raisonner quelquefois sur des principes abstraits auxquels il donne trop de généralité. Une fois placé dans une hypothèse qu’on ne peut attaquer, parce qu’elle est fondée sur des observations non contestées, il pousse ses raisonnements jusqu’à leurs dernières conséquences sans comparer leurs résultats avec ceux de l’expérience ; semblable à un savant mécanicien qui, par des preuves irrécusables tirées de la nature du levier, démontrerait l’impossibilité des sauts que les danseurs exécutent journellement sur nos théâtres. Comment cela se fait-il ? Le raisonnement marche en ligne droite ; mais une force vitale, souvent inaperçue et toujours incalculable, fait dévier les faits loin de nos calculs. »

Malgré les erreurs qu’il a pu commettre, Ricardo passe, à juste titre, pour l’un des plus grands maîtres de l’économie politique. Sa puissance d’analyse, sa rigoureuse logique, lui ont assuré l’une des premières places parmi ceux à qui la science est redevable de tant de progrès.

Ed. Vidal-Naquet.


Bibliographie

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En dehors des ouvrages cités, nous devons signaler : la Correspondance de Ricardo avec J.-B. Say (Mélanges de J.-B. Say (1844).) — Les Lettres de Ricardo à Malthus ont été publiées par M. James Bonar (1887). — Des Notices sur la vie et les travaux de Ricardo ont été écrites par Mac-Culloch (en tête de The Works of David Ricardo) ; par M. A. Fonteyraud (en tête de la traduct. fr. des œuvres de Ricardo par Fonteyraud et Constancio 1847) ; par son frère, dit-on, dans l’Annual Obituary (1823), par M. Porter dans Penny Cyclopedia ; par Lord Brougham (Collection de portraits des hommes marquants du règne de George III) ; par M. Beauregard (Ricardo, Collect. Petite bibliothèque économique, Paris, Guillaumin).


RICHELIEU (Armand-Jean du Plessis de), né à Paris le 5 septembre 1585, mort le 4 décembre 1642.

Il déploya comme ministre les qualités les

  1. Gronlund, auteur de The Cooperative Commonwealth.