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doit relever, en effet, la forme, la contenance, l’usage de chaque parcelle, puis en évaluer le revenu net ; or, on entend par parcelle, non seulement les fractions du sol possédées par des personnes différentes, mais encore toutes celles qui, dans la même main, sont soumises à des cultures différentes ou se distinguent des parcelles voisines par une séparation naturelle ou artificielle. Une pareille œuvre exige de longues opérations d’art : triangulation, arpentage, levée de plans et des opérations administratives minutieuses destinées à déterminer le revenu net. Dans un but de simplification, on ne procéda pas à l’évaluation directe du revenu de chaque parcelle, première infraction au principe de la stricte proportionnalité et comme néanmoins le travail restait considérable, on décida que l’évaluation, une fois obtenue, demeurerait immuable. Mais comment cette évaluation a-t-elle été faite ? Séparément dans chaque commune, par une commission de propriétaires au moyen de la classification, du classement et par le tarif des évaluations. La classification consiste à diviser en plusieurs catégories, suivant leur degré de fertilité les champs de diverses cultures d’une commune ; deux types, l’un supérieur, l’autre inférieur, choisis parmi les terres à expertiser, fixent les limites de chacune des classes. Le sol des habitations appartient de droit à la classe supérieure. Cette opération préliminaire terminée", les classificateurs effectuent le classement en comparant aux types successivement toutes les parcelles et en les distribuant dans les différentes classes. Enfin, le conseil municipal s’adjoint un nombre égal des plus imposés à la contribution foncière et vote le tarif des évaluations, c’est-à-dire les chiffres qui sont censés représenter le revenu net à l’hectare de chacune de ces classes. Ce sont ces chiffres, donnés par les intéressés eux-mêmes, sans relation d’une commune à l’autre, fixés, les uns il y a quarante ans, les autres, il y a soixante ou quatre-vingts ans, qui sont le fondement de notre impôt foncier d’aujourd’hui. Dans l’intervalle, des marais ont été desséchés, des dunes ont été plantées, des bois défrichés, des cultures ont remplacé d’autres cultures, des villes entières ont peuplé d’anciennes solitudes, tous ces bouleversements économiques du sol n’ont en rien changé le revenu légal de ce sol. L’impôt territorial suit ce revenu légal ; et l’on oserait soutenir que, proportionnel à la valeur de la rente, il forme une des branches d’un système général d’imposition du revenu !

Non, il n’y a aucun rapport entre la 

rente actuelle de la terre et le revenu net imposable qui résulte de notre cadastre. C’est une vérité tellement évidente que personne ne songe à la nier, mais on dit : Puisque la contribution foncière est, comme l’ancienne taillé, un impôt de répartition, appliquons seulement le cadastre à la répartition individuelle et cherchons d’autres moyens d’assurer l’exacte distribution du contingent entre les départements, les arrondissements et les communes. Quand ces moyens seront trouvés, nous ferons la péréquation de l’impôt pour toutes les circonscriptions administratives ; nous diminuerons ainsi les inégalités, car il n’y aura plus que la répartition entre les propriétaires qui laissera à désirer. Raisonnement étrange, fécond en conséquences devant lesquelles reculent même les plus hardis. Voici, par exemple, d’anciennes garrigues où un cultivateur intelligent a planté de la vigne ; si le fisc s’empare de ce nouveau revenu, si l’on élève de ce chef les contingents du département et de la commune, qu’arrivera-t-il ? C’est que le propriétaire, cause de l’augmentation, continuera de payer une cote semblable à celle du possesseur d’une même étendue de garrigues, tandis que les autres

— ceux qui cultivent les anciennes terres arables, les champs les plus imposés — supporteront la majeure partie de la surtaxe. Inversement, si l’on diminue le contingent communal, la diminution profitera à peine à la parcelle qui est surimposée et le remède, loin de faire disparaître les inégalités, les exaspérera. On a néanmoins entassé statistiques sur statistiques en vue de modifier la répartition départementale ; des enquêtes laborieuses ont été poursuivies, dont, heureusement, on n’a jamais eu le courage d’appliquer toutes les conclusions et qui n’ont servi qu’à diminuer par des dégrèvements intempestifs le produit de l’impôt. Mais leur résultat le plus clair a été de fausser les idées de bien des gens sur la nature de la taxe territoriale.

Son point de départ, nous ne saurions trop le redire, est la concession d’un monopole perpétuel à une certaine catégorie de personnes ; sa nature, une rente réservée par la société au profit de ceux qui ne jouissent pas du monopole, sa justification l’importance des avantages obtenus en échange. Les Anglais ne s’y sont pas trompés et, dans un moment de crise nationale, ils ont même offert aux propriétaires terriens de racheter cette rente ; ils ont voulu aliéner ce qu’ils regardent comme un capital commun. Le rachat de la land-tax a commencé à être pratiqué en Angleterre à la fin du siècle dernier et s’est continué jusqu’à nos jours.