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dérée, et avec des erreurs qui tiennent au temps et à une conception inexacte de la propriété, on trouve dans ce livre de grandes idées destinées à faire fortune chez les modernes, particulièrement le jury et le système pénitentiaire. Dans les Lois, et plus encore dans la République, la partie politique, consacrée à l’analyse des espèces de gouvernements et aux causes morales de révolution, est d’une beauté supérieure et d’une vérité durable.

Malgré les erreurs radicales de Platon au point de vue économique, on trouve chez lui l’expression déjà nette de certaines vérités de cet ordre. Tel est le remarquable passage sur les avantages de la division du travail (V. ce mot) : « Ce qui donne naissance à la société, n’est-ce pas l’impuissance où chaque homme se trouve de suffire à soi-même et le besoin qu’il éprouve de beaucoup de choses ? Est-il une autre cause de ses origines ? — Point d’autre. — Ainsi, le besoin d’une chose ayant engagé l’homme à se joindre à un autre homme, et à un autre homme encore, la multiplicité de ces besoins a réuni dans une même habitation plusieurs hommes dans la vue de s’entr’aider, et nous avons donné à cette société le nom d’État : n’est-ce pas ? — Oui. — Mais on ne communique à un autre ce qu’on a, pour en recevoir ce qu’on n’a pas, que parce qu’on croit y trouver son avantage. — Sans doute. — Bâtissons donc un État par la pensée. Nos besoins en formeront les fondements. Or le premier et le plus grand de nos besoins, n’est-ce pas la nourriture, d’où dépend la conservation de notre être et de notre vie ? — Oui. — Le second besoin est celui du logement ; le troisième, celui du vêtement. — Cela est vrai. — Et comment notre État pourra-t-il fournir à ces besoins ? Ne faudra-t-il pas pas pour cela que l’un soit laboureur, un autre architecte, un autre tisserand ? Ajouterons-nous encore un cordonnier ou quelque autre artisan semblable ? — À la bonne heure. — Tout État est donc essentiellement composé de quatre ou cinq personnes. — Il y a apparence. — Mais quoi ! faut-il que chacun fasse pour tous les autres le métier qui lui est propre ? que le laboureur, par exemple, prépare à manger pour quatre, et qu’il y mette par conséquent quatre fois plus de temps et de peine ? Ou ne serait-il pas mieux que, sans s’embarrasser des autres, il employât la quatrième partie du temps à préparer sa nourriture, et les trois autres parties à se bâtir une maison, à se faire des habits et des souliers ? — Il me semble, Socrate, que la première manière serait plus commode pour lui. — Je n’en suis pas surpris ; car, au moment que tu parles, je fais réflexion que nous ne naissons pas tous avec les mêmes talents, et que l’un a plus de disposition pour faire une chose, l’autre pour en faire une autre. Qu’en penses-tu ? — Je suis de ton avis. — Les choses en iraient-elles mieux si un seul faisait plusieurs métiers, ou si chacun se bornait au sien ? — Il est encore évident, ce me semble, qu’une chose est manquée lorsqu’elle n’est pas faite en son temps. — Cela est évident. — Car l’ouvrage n’attend pas la commodité de l’ouvrier ; mais c’est à l’ouvrier de s’accommoder aux exigences de son ouvrage. — Sans contredit. — D’où il suit qu’il se fait plus de choses, qu’elles se font mieux et plus aisément, lorsque chacun fait celle pour laquelle il est dégagé de tout autre soin. — Assurément. — Ainsi il nous faut plus de quatre citoyens pour les besoins dont nous venons de parler. Si nous voulons, en effet, que tout aille bien, le laboureur ne doit pas faire lui-même sa charrue, sa bêche, ni les autres instruments aratoires. Il en est de même de l’architecte, auquel il faut beaucoup d’outils, du cordonnier, du tisserand. »

Après avoir ainsi montré les causes et l’utilité de la séparation des travaux, qui lui parait nécessiter une certaine densité de population, Platon arrive au commerce extérieur et à l’usage de la monnaie nécessaire tant au dehors que pour les transactions intérieures : « Il est presque impossible à qui veut fonder un État de lui trouver un lieu d’où il puisse tirer tout ce qui est nécessaire à sa subsistance. — Cela est impossible, en effet. — Notre État aura donc encore besoin de personnes pour aller chercher dans les États voisins ce qui lui manque. — Oui. — Mais ces personnes reviendront sans avoir rien reçu, si elles ne portent en échange à ces États ce dont ils ont besoin à leur tour. — Selon toutes les apparences. — Il ne suffira donc pas à chacun de travailler pour soi et ses concitoyens, il faudra encore qu’il travaille pour les étrangers. — Cela est vrai. — Notre État aura besoin, par conséquent, d’un plus grand nombre de laboureurs et d’autres ouvriers. — Sans doute. — Il nous faudra de plus des gens qui se chargent de l’importation et de l’exportation des divers objets d’échange. Ce sont ceux que l’on appelle commerçants. N’est-ce pas ? — Oui. — Et si le commerce se fait par mer, voilà encore un monde de personnes qu’il faut pour la navigation. — Cela est certain. — Mais, dans l’État même, comment les citoyens se feront-ils part les uns aux autres du fruit de leur travail ? car c’est la première raison qui les a portés à vivre en société. — Il est évident