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PHYSIOCRATES

PHYSIOCRATES

■ciété civilisée sont plus heureux que ne Fêtaient les pauvres et peut-être même les riches dans l’état sauvage et primitif. » Ainsi se trouvait contredit le sophisme émis par Jean-Jacques Rousseau et d’après lequel « l’état primitif » ou « de nature » aurait été Fétat le plus satisfaisant de l’humanité. Les physiocrates avaient une entière confiance dans la continuité du progrès matériel et dans son influence sur le bonheur des individus. D’après eux, l’antagonisme était ■un état morbide qui ne pourrait présider •d’une manière permanente aux relations humaines ; autrement il n’y aurait eu, depuis longtemps, dans le monde, qu’un maître et ■des esclaves ou même qu’un seul individu ; ■tous les autres se seraient entre-détruits. Le mot de solidarité ne se trouve nulle part dans les écrits des physiocrates ; mais des réflexions comme celles-ci : « Nul ne vit sans le secours de ses semblables ; le travail ■d’ autrui nous est profitable ; les transformations de la matière, les transports, les améliorations de terre, les inventions passées et présentes, faites au loin ou à côté de nous, sont utiles à tous », y sont constamment ■exprimées.

Les physiocrates étaient donc optimistes et optimistes résolus. Le « Tout est bien » 4e Pope leur avait paru plus vrai que les désolantes déclamations de ceux qui ne voyaient dans Fhumanité que violence et anarchie. La fameuse formule : Laissez faire, laissez passer, n’est en réalité qu’une manifestation d’optimisme. On sait comment elle est née. D’Argenson avait dit : Pas trop gouverner. Et avant d’Argenson, le négociant Legendre avait répondu à Golbert qui lui parlait de protection : Laissez-nous faire, €’est ce mot dont Gournay s’était emparé et «que ses disciples et ceux de Quesnay avaient -ensuite présenté sous toutes les formes. Que signifiait-il en somme ? Qu’on doit s’en rapporter plutôt au libre jeu des lois naturelles qu’à l’action du gouvernement, qu’on doit borner le rôle de ce dernier à la répression des violences, des fraudes et des usurpations, ce qui équivaut à affirmer sa confiance ■dans la nature humaine et dans les tendances harmoniques des forces diverses qui engendrent les phénomènes sociaux, quand elles sont abandonnées à elles-mêmes et que des obstacles artificiels n’en modifient pas les effets.

Ni Gournay ni ses amis, et on peut ajouter ni aucun économiste plus moderne, n’ont invoqué la célèbre formule pour prétendre que le gouvernement devait être supprimé, qu’il ne devait y avoir aucune autorité et que les sociétés devaient être livrées à l’anarchie. Ils ont affirmé simplement que les gouvernements ne doivent pas se mêler de régler ce qu’ils ignorent et ne pas protéger ceux-ci plutôt que ceux-là parce qu’ils ne peuvent le faire qu’aux dépens de ces derniers. Se plaçant à un point de vue bien peu différent de celui de Gournay, les disciples de Quesnay ont cherché surtout à arracher le masque dont se couvraient de leur temps et dont se couvrent, en tout temps, « les intérêts particuliers exclusifs » qui, sous prétexte d’intérêt général ou national, s’emparent du gouvernement et font des lois à leur profit. Ils ont attaqué vigoureusement les privilèges de classes et ceux dont se trouvaient en possession « les provinces, les villes, les ports, les compagnies marchandes, les sociétés d’entrepreneurs, les industriels » ; ils ont réclamé de toutes manières « l’abolition des règlements des prohibitions, des permissions de commerce, des monopoles » qui s’opposaient aux relations de nationaux à nationaux ou de nationaux à étrangers. Ils ont fait remarquer que si l’entrée de nos ports aux étrangers était défavorable à quelques commerçants, elle était certainement avantageuse à la nation tout entière. Ils ont été enfin les adversaires résolus de la réglementation et peuvent être considérés à ce titre comme les véritables fondateurs de l’école libérale.

. Les théories de la classe stérile, du produit net et de l’impôt unique.

« L’intérêt particulier est le premier lien de la société, avait dit VAmi des hommes, d’où il suit que la société est d’autant plus assurée que l’intérêt particulier y est le plus à l’abri... L’intérêt général, loin de contraster avec l’intérêt particulier n’a de base, au contraire, que celui-ci ; car cette réunion d’intérêts faits pour se croiser et se combattre, ne peut subsister si chacun d’eux n’est contenu par l’autre. »

On voit, d’après ce passage, quehe confiance avaient les physiocrates dans les effets harmoniques de la lutte des intérêts partîcuculiers. Ils ne la croyaient dangereuse que quand elle était accompagnée de violences, soit que la loi les permît ou les facilitât, soit que la répression en fût impossible. La guerre, l’esprit de conquête, l’oppression, la fraude, n’avaient pas d’ennemis plus acharnés. Quand ils parlaient du commerce, ils ne manquaient pas de signaler l’influence que son développement devait exercer sur le maintien de la paix générale. « Oh ! voilà de dangereux principes, leur disait Turgot. On n’aura donc plus le plus léger prétexte pour faire la guerre et si la