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PHYSIOGRATES

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PHYSIOGRATES

venant au monde, prétendait-il, a un droit naturel, variable, selon les circonstances et selon ses facultés ; c’est le droit de faire ce qui lui est avantageux. En repoussant les anciennes formules des jurisconsultes, il aboutissait ainsi à un principe d’où Ton pouvait facilement tirer le droit de vivre ou le droit au travail et même revenir au droit de tous à tout de Hobbes,

Une autre erreur des physiocrates consista à supprimer des relations humaines toute obligation morale qui n’entraîne pas avec elle un droit corrélatif, La Rivière avait dit : « Point de droits sans devoirs et point de devoirs sans droits » ; cette formule fut acceptée par d’autres disciples de Quesnay. Or, les rapports des hommes entre eux n’ont pas cette rigueur ; s’il n’y a pas de droits sans devoirs, parce que le droit est un rapport, il existe dans les relations humaines une foule de devoirs, d’obligations, de tendances morales qui n’entraînent pas nécessairement la réciprocité.

Les critiques qu’il est permis de faire à la philosophie sociale des physiocrates ne lui enlèvent pas néanmoins sa haute portée. Sans doute, il fallait mieux définir les lois naturelles ; il fallait analyser les phénomènes sociaux et établir nettement qu’ils se reproduisent de la même manière dans les mêmes circonstances données ; mais c’était là une œuvre de plusieurs générations que les fondateurs de la science ne pouvaient accomplir et en affirmant l’existence de lois naturelles et en cherchant à déterminer quelques-unes de ces lois, les physiocrates ont ouvert une voie qu’il n’y avait plus qu’à suivre après eux. . Conclusions optimistes des physiocrates. L’une des premières conséquences auxquelles aboutirent les physiocrates fut la doctrine de la solidarité humaine et celle de l’harmonie sociale. C’est surtout en étudiant la question de la population (voy. ce mot) que les physiocrates sont arrivés à ces intéressantes conclusions.

« La mesure de la subsistance est la mesure de la population, avait dit le marquis de Mirabeau (voy. ce nom) dans VAmi des hommes ; si la multiplication d’une espèce dépendait de sa fécondité, il y aurait dans le monde cent fois plus de loups que de moutons, car les portées des louves sont plus nombreuses que celles des brebis... Les sauvages d’Amérique qui ne vivent que de la chasse sont réduits à la condition et presque à la population des loups. » Et le même auteur ajoutait, dans son langage imagé : « Les hommes multiplient comme les rats dans une grange, s’ils ont les moyens de subsister ». Quesnay, plus précis que son disciple, n’affirmait pas que les mouvements de la population suivent nécessairement les mouvements des subsistances ; il avait remarqué, au contraire que, pour qu’un pays soit riche, il faut que les sujets soient dans l’aisance et f par conséquent, que la population ne croissepas aussi rapidement que les subsistances, « Si de deux royaumes, demandait-il de manière à ne pas laisser de doute sur le sens de la réponse, l’un était plus peuplé et si l’autre avait à proportion plus de revenu, toutes choses étant d’ailleurs égales, lequel serait le plus puissant ? » Mais il était d’avis, a,Yecl’Ami des hommes, que les gouvernement» n’ont pas besoin d’encourager l’accroissement de la population, car celle-ci augmente suffisamment d’elle-même si les subsistances se multiplient et si l’agriculture est prospère. Du Pont de Nemours a développé la pensée du maître en ces termes : « Dans les colonies de l’Amérique septentrionale, il n’y a point d’encouragements pour les mariages, point de primes, de franchises, de distinctions, ni d’exemptions pour ceux qui auront beaucoup d’enfants... et cependant la population y double tous les vingt-cinq ans. Pourquoi ?

Parce que la culture y fait sans cesse 

de nouveaux progrès ; parce que la quantitédes productions consommables y augmente chaque jour. »

« Plus on avance dans l’étude de l’ordreque la sagesse suprême a donné à l’univers,, a écrit le même auteur, un peu plus tard, en. 1771, et plus on est forcé d’admirer la réciprocité des rapports qui unissent les diverses parties de cet assemblage immense. Rien n’y est isolé, tout s’y tient : toutes les causessont effets ; tous les effets sont causes. Lesrichesses, par exemple, fontnaître la culture ; la culture multiplie les richesses ; cette augmentation de richesses accroît la population ; l’accroissement de la population soutient la, valeur des richesses mêmes. »

Ces citations montrent de quelle manièreles physiocrates envisageaient l’enchaînement général des phénomènes économiques^ Ayant constaté qu’en raison de la perfectibilité de l’esprit humain et du désir del’homme d’obtenir toujours plus de jouissances avec moins d’efforts, on fait tous le* jours des inventions qui facilitent « les moyensde jouir autant ou plus, à moins de frais » r ils en ont conclu que les plus pauvres des salariés dans les pays européens doivent être mieux vêtus, mieux logés, mieux nourris queles sauvages. « Et quoique la population croisse plus facilement chez les peuples ci- ; vilisés que chez les populations sauvages r disaient-ils, les plus pauvres, dans une so—