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PHYSIOC RATES

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PHYSIOCRATES

tème. Sans ce succès continu, Turgot n’aurait pu songer à provoquer une seule des réformes qu’il a eu le courage d’accomplir. Son avènement fit renattre toutes les espérances des économistes qui, pour la plupart, furent ses collaborateurs. Du Pont de Nemours fut appelé auprès de lui en qualité de secrétaire intime ; le petit-fils deQuesnay prit place dans ses bureaux ; La Rivière retrouva- un siège au parlement ; Baudeau fonda les Nouvelles Êphémérides avec les secours pécuniaires du ministre que Morellet, Trudaine, Fourqueux, Gondorcet, aidèrent de leurs conseils et de leurs travaux. La mort du vieux Quesnay, qui avait pu applaudir dans la retraite aux premiers efforts de son éminent disciple, et la disgrâce de celui-ci entraînèrent la chute de l’école physiocratique . Le marquis de Mirabeau était déconsidéré comme écrivain et aussi comme homme, car ses démêlés avec sa femme et avec son fils avaient révélé trop de scandales dans sa famille pour que sa réputation ne fût pas atteinte. Les intrigues de Baudeau avaient éloigné de lui ses plus anciens amis. Les Nouvelles Êphémérides avaient cessé de paraître ; il en était de même d’un journal dirigé par Roubaud. La plupart des physiocrates, persécutés par Maurepas et par l’incapable successeur de Turgot, Clugny, avaient été exilés en province et se trouvaient dispersés. Le public se tourna de plus en plus du côté deNecker, dont la popularité alla grandissant jusqu’en 1789. Ce ne fut plus guère que par les diatribes de Linguet et par les injures de Mallet-Dupan, qui alla jusqu’à appeler les physiocrates « les fléaux de l’Europe », qu’on se rappela l’existence de cette secte autrefois fameuse. Mais l’impression qu’elle avait faite sur les esprits ne s’était pas effacée. Après le renvoi de Necker (voy. ce nom) et la mort de Maurepas, les idées physiocratiques reparurent dans les conseils du gouvernement. Vergennes se montra partisan de la liberté commerciale et conclut avec l’Angleterre le traité de 1786 dont Du Pont de Nemours fut l’inspirateur et le préparateur. Calonne, avec la collaboration du même économiste , tenta de reprendre une partie de l’œuvre de Turgot, lors de la convocation de l’assemblée des notables de 1787. A la fin du règne de Louis XVI, la plupart des hommes politiques étaient d’accord pour émanciper le travail, pour détruire les corporations, pour abolir la corvée et pour substituer aux anciennes taxes l’impôt territorial qu’avaient préconisé les physiocrates ; presque tout le monde désirait et réclamait un large développement de la liberté individuelle. Sans Necker, la liberté du commerce des grains .aurait été définitivement établie en 1788.

Dans les travaux de la Constituante, l’influence des idées physiocratiques apparaît de tous côtés, principalement dans les questions d’impôt où Du Pont de Nemours joua un rôle prépondérant.

Cependant, les économistes étaient devenus très rares ; de tous ceux qui avaient pris part aux anciennes luttes contre la réglementation, il ne restait plus guère que Du Pont, Condorcet, Morellet, Abeille, et les deux premiers étaient seuls mêlés à la vie politique. Si les idées physiocratiques triomphaient, c’est quelles étaient entrées dans le fonds général des opinions. En politique, elles ne tardèrent pas à être abandonnées pour les doctrines de l’école de Rousseau et des jacobins ; en économie politique, qui devenait une science spéciale, nettement séparée et peut-être trop séparée du reste de la science sociale, elles furent remplacées par celles d’Adam Smith et de Jean-Baptiste Say. Le nombre des écrivains qui persistèrent à défendre le système de Quesnay fut de plus en plus restreint ; Du Pont de Nemours fut un des derniers, avec le comte Garnier et Schmalz. Mais plus d’un germe de la vieille doctrine est resté dans l’école économique française ; au lieu de ne voir dans le monde que des échanges et des produits, au lieu de traduire en formules brutales et absolues les lois, toutes relatives, de la distribution des richesses, l’école française a toujours vu des hommes dans les faits économiques. Cette tendance, très marquée dans Charles Comte, par exemple, s’accentua à l’approche de 1848 en présence des attaques que les socialistes dirigèrent contre la société. Plusieurs économistes, Bastiat notamment, reprirent alors la thèse de l’harmonie sociale résultant des lois naturelles, thèse qui, ainsi qu’on va le voir, est l’une des parties principales du système physiocratique»

. Bases du système physiocratique. Les physiocrates, avons-nous dit, ont fondé leur système à un moment où des discussions étaient partout ouvertes sur le droit et sur la politique. Bien loin de se borner à étudier les phénomènespurementécomiques, ils ont fait porter, à la fois, leurs investigations sur toutes les branches de la science sociale : droit, morale sociale, économie politique et droit international. L’étude de l’homme, dans ses rapports avec ses semblables, leur parut former un tout homogène et indivisible dont on devait pouvoir déterminer les bases. Le monde physique, disaient-ils, est soumis à des lois qui assurent 1’é.qui-