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PAUPÉRISME

autre ; non seulement l’ouvrier ne souffre plus d’inégalités, mais l’on peut même dire que le législateur semble disposé à en créer à son profit. Ces idées nouvelles ont eu une action incontestable sur le taux des salaires, et partant sur la condition des salariés. Malheureusement, l’organisation industrielle moderne, si elle a ses avantages, et nous serions le dernier à les méconnaître, produit quelques inconvénients et constitue une atmosphère plus propre au développement de l’indigence. Le régime du travail libre accentue les inégalités sociales ; chacun se trouve livré à soi-même, soumis à la loi de responsabilité personnelle et obligé dès lors de subvenir par lui seul à ses besoins. Cette situation favorise les ouvriers intelligents et laborieux, dont le travail est recherché par les patrons. Mais elle aggrave le sort des êtres faibles, incapables, imprévoyants, vicieux ou malheureux, qui n’ont d’autres ressources que leur salaire, et elle les expose davantage aux risques de l’indigence. Il n’est pas douteux que, même sous le régime de la liberté du travail, si tous les individus étaient également favorisés sous le rapport de la force, de l’habileté et de la prévoyance, il pourrait ne pas y avoir de misère ; mais c’est là, malheureusement, un état idéal dont notre pauvre humanité ne peut offrir le spectacle.

Si, au lieu du régime de la liberté de l’industrie, nous nous plaçons en face d’une société où prévaut le régime d’autorité, nous trouverons une situation sociale diamétralement opposée : on verra bien, sans doute, la misère individuelle qui se rencontre dans toutes les sociétés, mais pas.de misère collective ; en revanche , on constatera une absence de bien-être. Bans l’antiquité, on pratiquait l’esclavage et le maître avait à pourvoir aux besoins de l’esclave, qui était sa chose, et qu’il était intéressé à conserver. Sans nul doute, le sort de l’esclave n’était pas bon et, lorsque la vieillesse engourdissait ses membres, le pauvre travailleur ne pouvait compter sur l’assistance ; il devenait inutile et le maître n’avait aucun intérêt à le garder. Mais tant que le maître pouvait le considérer comme un instrument utile de production, il en prenait soin, et Ton peut affirmer que les esclaves ne connaissaient ni la faim ni la privation des choses nécessaires à la vie. Les affranchis et les autres prolétaires eux-mêmes obtenaient, par les relations du patronage et de la clientèle, une assistance et des secours matériels. Si, de Pantiquité, nous jetons nos regards sur le moyen âge, nous retrouvons, avec le servage, une physionomie des classes ou-

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vrières à peu près semblable : peu de liberté,. / mais aussi une absence de misère collective , tenant, d’une part, aux obligations morales et légales du seigneur et, d’autre part, aux possessions foncières. Seuls, les gens sans aveu restent sans dépendance comme sans secours ; mais ils sont traités, non en indigents, mais en criminels que l’on pourchasse^ et contre lesquels on sévit.

Que le régime de liberté du travail constitue un air ambiant plus propre au développement de la misère collective, c’est ce que nous n’avons pas contesté ; mais, malgré J ses verrues, c’est un état dont il ne faut pas trop regretter l’avènement, car s’il aggraveet multiplie l’indigence des classes ouvrières,. il donne en revanche à celles-ci la possibilité d’arriver par l’économie et par le travail à l’aisance et à la fortune. Ne sacrifions pas la liberté ; bornons-nous à corriger les maux qui en sont parfois le cortège.

Les causes de la misère, qui tiennent à l’état général de la société, sont politiques oa économiques, avons-nous dit. Nous avons parcouru les premières, sans avoir, d’ailleurs, la prétention d’en présenter une énumération limitative. Arrivons aux secondes,. dont nous n’indiquerons également que les principales. La prépondérance donnée à l’industrie, les excès de production, et enfin l’agglomération des populations manufacturières sont, à notre sens, les agents d’ordre économique de la misère collective. L’industrie moderne s’est transformée le jour où la vapeur, les chemins de fer, lui ont permis,, d’une part, d’habiter de vastes usines, desservies, vivifiées, pour ainsi dire, par un puissant moteur et, d’autre part, de porter au loin et à peu de frais ces produits qu’elle a. reçus de la même façon, sous forme de matières premières. Ce jour-là, des centaines ou des milliers d’ouvriers, attirés par de larges salaires, ont déserté la vie agricole ou la petite industrie pour se grouper autour de la même usine.

L’existence est facile, lorsqu’il y a du travail* et que la rémunération de ce travail est abondante ; mais vienne un arrêt dans la production, le chômage atteint et plonge dans lamisère des populations entières. Ces suspensions ou ces ralentissements de l’activité industrielle sont fréquents de nos jours. Les causes accidentelles de Findigence> ainsi que le mot l’indique, n’ont rien de permanent ; elles sont subites, mais la misère, qu’elles produisent, est parfois durable ; Celles sont, en général, individuelles, mais lelles sont aussi générales. Les causes individuelles sont les maladies, les blessure , les infirmités, le décès prématuré du chef