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OCTROIS

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OCTROIS

Par contre , les produits industriels, ne payant rien à la sortie, peuvent inonder les campagnes. Si, comme conséquence, la culture parlait de se liguer contre les villes et établissait un impôt sur les produits industriels à la sortie du centre urbain, quelle protestation cette mesure ne souleverait-elle pas parmi les populations ouvrières, qui réclameraient avec raison le libre-échange à l’intérieur ? Pourquoi alors deux poids et deux mesures ? On frappe les produits agricoles et on laisse libre les produits industriels. Il y a là une injustice criante. En outre, l’octroi n’est-il pas la mesure la plus propre à resteindre la consommation des denrées de choix et favoriser celles de mauvaise qualité ? Il pousse à la sophistication et Tonne saurait en trouver de meilleure preuve que ceci : c’est que dans les campagnes on ne songe pas à falsifier le vin, tandis que dans les villes le marchand de vin, qui est obligé de payer des droits d’entrée, ne les fait pas payer par le consommateur en élevant le prix du litre, mais en falsifiant la boisson qui le plus souvent est celle de l’ouvrier. Il faut ajouter que le vin n’ayant pas de force, il faut en prendre plus : d’où cette conséquence que l’octroi engendre l’ivrognerie. Les adversaires de l’octroi tiennent encore le raisonnement suivant : ils comparent dans toute la France le produit des quatre contributions directes avec celui de l’octroi et ils trouvent que le dernier est supérieur au premier. Ce sont donc, disent-ils, les consommateurs pauvres qui paient la plus grande partie de ces budgets, l’ouvrier est taxé proportionnellement plus que tous. On constate le même résultat si l’on met en présence, d’une part, les sommes comptées pour l’octroi, d’autre part, celles comptées pour centimes communaux, impositions communales et taxes des chiens.

On reproche encore à l’octroi de constituer pour les villes un genre de ressources qui les met à même de faire des dépenses exagérées. C’est notamment grâce aux octrois que les villes se grèvent d’emprunts. Enfin, l’octroi amène la dépopulation des campagnes. Ruinés par l’octroi, comme nous lavons indiqué plus haut, les gens de la campagne arrivent en foule dans les villes où ils trouvent du travail dans les travaux d’une utilité contestable que l’on entreprend avec les ressources de l’octroi. Lorsque les travaux sont terminés, jamais les ouvriers ne retournent aux champs qu’ils ont abandonnés.

Ce sont là les reproches que Ton adresse à l’octroi ; impôt antiéconomique , puisqu’il nuit à la production, la restreint et parfois l’arrête ; impôt antifinancier, puisqu’il encourage les villes, grâce aux ressources faciles qu’il leur procure, à entreprendre des travaux de luxe ou à contracter des emprunts dont les arrérages sont payés avec les produits qu’il donne.

Voyons maintenant quels sont les arguments que les partisans de l’octroi invoquent en sa faveur. « Les droits sur les marchandises, a dit d’abord Montesquieu, sont ceux que les peuples sentent le moins, parce qu’on ne leur fait pas une demande formelle. Ils peuvent être si sagement ménagés que le peuple ignorera presque qu’il les paie. » M. Yves Guyot a répondu spirituellement à cette théorie qui consiste, selon lui, à plumer la poule sans la faire crier : « que si on paie un impôt sans s’en apercevoir, on ne devrait pas non plus s’apercevoir de sa disparition ». En outre, à notre avis, Montesquieu suppose certainement que la taxe est légère ; mais elle est, elle doit être lourde, car sans cela les frais de perception qui sont assez élevés absorberaient les recettes.

On invoque encore l’ancienneté de l’institution. Mais, à vrai dire, ceci n’est pas une justification : les douanes intérieures existaient bien avant 1789 depuis plusieurs siècles et cela n’a pas empêché de les supprimer ; les octrois sont une institution qui les touche de bien près et qui offre les mêmes inconvénients. On dit que cette forme d’impôt est généralement admise, mais nous verrons plus loin que ceci n’est pas vrai pour un très grand nombre de pays, comme l’Angleterre, l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, le Danemark, les États-Unis, l’Espagne, la Suède et la Turquie.

Les partisans de l’octroi proclament que sa suppression mettrait la commune dans la main du gouvernement et détruirait à jamais son autonomie. Les faits prouvent le contraire : en Angleterre, l’un des pays où l’autonomie, dans ses justes limites, est le plus développée, les communes savent parfaitement pratiquer le self-government sans octroi.

Ils disent encore que l’élévation des salaires tient eompte à l’ouvrier de ce que lui prend l’octroi. C’est encore là une erreur. L’octroi, au contraire, entretient entre le patron et l’ouvrier une lutte continuelle, le premier trouvant qu’il paye l’ouvrier trop cher pour le prix qu’il peut vendre sa marchandise au consommateur, le second estimant qu’il est payé trop juste pour pouvoir faire des économies.

On objecte encore (cet argument ne touche que certaines villes) que : 1° les étrangers supportent l’octroi et ne paieront plus rien