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OCTROIS

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OCTROIS

paraître et il n’est guère d’économiste qui n’ait formulé de reproche contre lui. Turgot le premier, en 1776, alors qu’il n’était que simple intendant du Limousin, écrivait à ce propos à l’intendant général Bertin : « L’impôt sur les consommations est dispendieux dans sa perception. Il entraîne une foule de gênes, de procès, de fraudes, de condamnations, la perte d’un grand nombre d’hommes, une guerre du gouvernement avec les sujets, une disproportion entre le crime et les peines, une tentation continuelle à la fraude. Il attaque en mille choses la liberté. Il nuit beaucoup à la consommation et par là se détruit lui-même. On croit par ces droits d’entrée faire payer les villes, et ce sont en réalité les campagnes qui payent les objets qu’elles ont produits ». Puis, à quelques années de là, il écrivait encore à l’abbé Terray : « Je ne vous dissimulerai pas que ces droits d’octroi me paraissent un mal en eux-mêmes » ; et le futur contrôleur général, fidèle aux idées des physiocrates, concluait dans l’intérêt des campagnes, qu’il vaudrait beaucoup mieux supprimer entièrement ces taxes que de les réformer.

Dans son Rapport de 1791 à l’Assemblée constituante, que nous avons rappelé dans notre Historique, Du Pont de Nemours n’est pas moins explicite et, outre les raisons que nous avons indiquées plus haut, il rappelle : « 1° l’injustice qu’il y aurait à faire payer la même taxe aux produits nés à peu de frais sur un terrain favorable et à ceux qui, nés sur un terrain ingrat, avaient occasionné de fortes dépenses, d’où résulterait l’abandon de leurs cultures ; 2° les bornes invincibles des moyens de payer, tellement que, dans l’impossibilité pour tout homme de payer un seul écu de plus qu’il n’a, le consommateur n’a d’autres ressources que de consommer moins ».

« La suppression des octrois, a dit dans un temps plus rapproché de nous Michel Chevalier, est une pensée qui reste suspendue dans les airs, à une certaine distance de la terre, mais qu’un jour à venir le courant des événements pourra et devra placer à la porte d’un gouvernement jaloux de laisser de son passage une trace lumineuse. » Nous allons examiner cette question, . De la suppression de l’octroi. En raison des inconvénients économiques que nous venons d’exposer, il est évident que la suppression des octrois serait une mesure désirable. Il convient cependant, pour bien se rendre compte du caractère de cette mesure, d’indiquer quels sont les arguments qu’invoquent, d’une part, les partisans de la suppression, d’autre part ceux qui désirent le maintien du statu quo.

Exposons d’abord quels sont les reproches faits aux octrois.

Il y a d’abord toutes les accusations adressées aux contributions indirectes. Ainsi, cette taxe est contraire à la règle d’un bon impôt qui veut que le contribuable paie en raison de ses facultés et non en raison de ses besoins (V. Impôt) elle est proportionnelle à la quantité des marchandises, mais nullement a leur qualité et à leur valeur et il arrive que souvent, les produits d’un même genre payant un prix égal, une marchandise paie d’autant moins d’impôt qu’elle est d’un prix plus élevé ; elle frappe de préférence et plus durement les objets de première nécessité et amène leur renchérissement ; enfin, les ennuis et les vexations qui résultent de sa perception (comme de toutes les contributions qui exigent l’exercice), éveille l’idée de fraude, qui souvent finit par devenir une véritable industrie.

On accuse encore les octrois, à en juger par certains exemples, d’être parfois de véritables douanes intérieures et de constituer par suite une entrave à la circulation et à l’échange des produits. On leur reproche aussi d’empêcher la consommation de bénéficier de l’abaissement de prix qui devrait résulter d’une bonne récolte, car, le droit étant toujours perçu à l’entrée, il s’opère un nivellement et les prix ne changent pas. L’industriel en souffre tout autant que Je consommateur, car l’ouvrier qui paie ses vivres plus cher demande forcément à son patron une augmentation de salaire, et malgré cela le consommateur ne consent pas à payer plus cher l’objet manufacturé. Les octrois enlèvent encore à la production un nombre considérable d’agents. C’est là un reproche qui est commun aux contributions indirectes, car il est certain que, pour des frais de perception égaux, ces impôts prennent plus d’agents que les impôts directs. De là une plus-value perdue pour le pays, car sans cela, ces employés eussent pu s’adonner à l’industrie, au commerce, à l’agriculture et produire des richesses nou velles.

Les produits agricoles, ajoute-t-on, se consommant surtout dans les grands centres, on soumet l’agriculture, grâce aux octrois, à. des entraves inouïes à l’entrée des villes. On tarit donc pour le cultivateur une source importante de richesse, et comme le consommateur, malgré le droit, refuse souvent de paver les produits agricoles plus cher, les fermiers refusent de renouveler leurs baux, par» ;ô qu’ils ne trouvent plus de quoi vivre.