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travaux et plaisirs sont communs était un modèle toujours vivant des rapports qui doivent exister entre les membres de la famille sociale et politique. Or, tout membre de la famille apporte en naissant le droit de vivre, qui est antérieur à celui de travailler. Ce droit à la vie oblige donc de laisser en communauté une partie, sinon la totalité des ressources accumulées, afin que les survivants ne trouvent pas toujours les parts réglées. » Voilà pourquoi certains réformateurs, Morelly entre autres, ont voulu assurer la jouissance du droit commun, non pas par la communauté universelle des biens, état primitif des peuples nomades, mais par la propriété commune à un certain nombre de personnes, famille, tribu, société ou nation. Le genre de communauté préconisé par l’auteur du Code de la nature ne détruit donc pas la propriété : il la rend commune à plusieurs ; il la socialise au lieu de l’individualiser. — Voici, du reste, les points fondamentaux du système social de Morelly : « Réunir mille personnes au moins, afin que chacune travaillant selon ses forces et ses facultés, et consommant selon ses besoins et ses goûts, il s’établisse sur ce nombre une moyenne de consommation qui ne dépasse pas les ressources communes, et une résultante de travail qui les rende toujours assez abondantes ;

« Conserver autour de la cité un terrain suffisant pour -nourrir les familles qui l’habitent ;

« Maintenir l’indivisibilité du fonds a exploiter ;

« Établir l’usage commun des instruments de travail ;

« Distribuer les travaux selon les forces, les produits selon les besoins ; « Rendre l’éducation accesible à tous ; « N’accorder d’autre privilège au talent que celui de diriger les travaux dans l’intérêt commun, et ne pas tenir compte, dans la répartition, de la capacité, mais uniquement des besoins qui préexistent à toute capacité et lui survivent ;

« Ne pas admettre les récompenses pécuniaires : — 1° parce que le capital est un instrument de travail qui doit rester entièrement disponible entre les mains de l’administration de la cité ou de l’association rurale ; — 2° parce que toute rétribution en argent est inutile ou nuisible : — inutile, dans le cas où le travail librement choisi rendrait la variété et l’abondance des produits plus étendus que les besoins ; — nuisible, dans le cas où la vocation et le goût ne feraient pas remplir toutes les fonctions utiles. Ce serait donner alors aux individus un moyen de ne pas payer la dette IL

— MORUS 

de travail et de s’exempter ainsi par calcul et amour du luxe des devoirs de l’association, sans renoncer aux droits qu’elle assure ». C’est sur des sentiments très élevés que Morelly base les préceptes de sa morale : « La véritable bienfaisance de l’homune, dit-il, doit être dégagée de toute crainte comme de toute espérance ; mettez-la en dehors d’une divinité justicière. Que l’homme étende ou non sa pensée au delà de son état présent, rendez sa bonté morale indépendante de tout espoir futur ! » 11 termine son Code par un modèle de législation conforme, selon lui, aux intentions de la nature et il base cette législation sur la constitution d’une nation par familles, par cités, par provinces, avec le nombre de dix et ses multiples comme termes de toute division et répartition. A la suite viennent les lois agraires, somptuaires, conjugales, lois d’éducation, de gouvernement, de police et de pénalité. La peine de mort ne figure pas au nombre de ces dernières ; elle est remplacée par une réclusion adoucie, mais perpétuelle, sans rémission ni grâce, au milieu « des sépultures », car les criminels sont considérés comme des fous incurables et ennemis de l’humanité ; la société supprime ainsi ce qu’elle croit ne pouvoir améliorer. L’homme est passager sur la terre, mais l’humanité est immortelle ; l’individu n’est rien, l’espèce est tout. La société a donc le droit et le devoir de ne tenir compte que des lois qui doivent assurer le bonheur de l’humanité et le développement de l’espèce.

Joseph Lacroix.

MORUS (Thomas). — Écrivain, homme d’État, grand chancelier d’Angleterre, né à Londres, en 1480, décapité le 6 juillet 1535. Morus se distingua, dès le collège, par sa facilité et son goût pour le travail. Le cardinal Morton protégea le jeune élève, lui donna des maîtres spéciaux, l’attacha à sa maison et l’envoya ensuite à Oxford. Le caractère de Morus était à la fois enjoué et grave ; à dix-huit ans, il s’était déjà fait connaître dans le monde savantpar des vers latins et par des traductions en langue vulgaire. Plus tard, après une retraite de plusieurs années dans un couvent de chartreux, il se maria et prit place dans le barreau de Londres, où il acquit bientôt la célébrité. C’est dans l’exercice de cette profession qu’il attira l’attention de Henri VIII. Il fut alors introduit à la cour d’Angleterre par le cardinal "Wolsey, auquel il succéda plus tard comme grand chancelier. Malgré les missions diplomatiques dont il fut chargé, au milieu des honneurs et des devoirs que la faveur du roi lui imposait, Morus continua