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que les terres de ses voisins seraient couvertes de céréales ? Il serait forcé de passer sur des récoltes, de faire des dégâts. Pour les irrigations, le drainage, l’emploi des instruments perfectionnés, ce sont les mêmes obstacles. »

Toutes ces servitudes se traduisent par une moins-value que Ton voit évaluer, selon les cas, à 20, à 30 et même à 50 p. 100. . lie mal n’augmente pas.

La discontinuité des domaines est elle un fait nouveau et le mal va-t-il s’aggravant ? Ici encore, nous sommes obligé de contredire plusieurs de ceux qui ont discuté la question. Pour M. Jametel, le mal daterait de la Révolution : « Dans notre société démocratique, issue de 1789, écrivait-il en 1882, la division des héritages a fini par en amener la dispersion. Ils se sont fractionnés, enchevêtrés... c’est un mal qui est sorti d’un bien. » Si l’honorable député de la Somme avait la VJËssai sur V amélioration des terres de Patullo, ouvrage publié en 1758, il y aurait vu « l’inconvénient du mélange des terres et héritages » décrit et dénoncé en termes concluants : « Si un héritage est de cent arpents, il faut les aller chercher en trente ou quarante places différentes, quelquefois à une grande distance, où ils sont mêlés avec d’autres par morceaux d’un petit nombre d’arpents », Et cela dans « quantité de villages et paroisses ». La situation n’était donc pas meilleure, à ce point de vue, au xvm e siècle qu’au xix e .

M, Tisserand nous dit cependant qu’elle s’aggrave de jour en jour. Mais son dire n’est accompagné d’aucune justification et peut-être se borne-t-il à répéter ce qu’il a entendu affirmer. La preuve que la situation ne s’aggrave pas nous paraît résulter de la lenteur avec laquelle nous savons maintenant que progresse le nombre des parcelles culturales : au moins 110 millions lors de la confection du cadastre, 125 millions en 1882. Les 15 millions de parcelles nouvelles s’expliquent surabondamment par tous les chemins qu’on a ouverts, par toutes les clôtures qu’on a établies, par toutes les landes qu’on a défrichées, par toutes les prairies, toutes les vignes, tous les jardins qui se sont créés depuis un demi-siècle. Il n’y a donc pas à faire intervenir d’autres causes de fractionnement, au contraire. Sur bien des points, les réunions ont dû être plus nombreuses que les disjonctions. Il en est certainement ainsi pour la Meuse, les Ardennes, la Haute-Marne, Seine-et-Marne, où les recadastrations de la période 1828-1883 ont trouvé plus de propriétaires, mais moins de parcelles que le cadastre impérial, Nous sommes donc convaincu que, dans beaucoup de départements, la situation, loin de s’aggraver, tend à s’améliorer au point de vue de l’indépendance réciproque des domaines ruraux.

. Bemèdes possibles : action individuelle. Et, en effet, la dissémination des propriétés n’est pas un mal sans remèdes. Le propriétaire qui souffre de la séparation et de l’isolement de ses cultures cherche naturellement à réagir contre cette cause de moinsvalue et le désir qu’on a généralement de s’arrondir devient doublement impérieux lorsqu’il s’agit de rejoindre, comme par un pont, un de ces îlots détachés où l’on ne peut arriver qu’en sortant d’abord de chez soi. Beaucoup de domaines petits et grands ont ainsi reconquis, à coups d’écus, l’unité et la densité qui leur faisaient défaut. Une ferme des environs de Château-Thierry, citée par M. Carré, comptait, en 1852, 160 morceaux isolés pour 112 hectares, et ne comptait plus en 1883 que 65 morceaux pour 163 hectares. Les faits de ce genre sont très fréquents. On peut aussi arriver au but par voie d’échanges. Dans cette voie, les propriétaires se sont vu tracer la marche à suivre par les fermiers eux-mêmes.

Quand la ligne qui sépare deux fermes limitrophes fait trop de zigzags ou de sinuosités, les deux fermiers s’entendent souvent pour substituer à cette frontière accidentée, pendant la durée de leur jouissance, un tracé rectiligne qui laisse à chacun la même surface et épargne à la charrue d’incessants vaet-vient. Ces arrangements amiables ont l’avantage de n’entraîner aucuns frais, l’administration ne les connaissant même pas. Il en est autrement quand l’échange s’opère à titre définitif entre les propriétaires. Mais il y a longtemps qu’on a reconnu l’opportunité de ne pas décourager par de trop onéreuses taxations des transactions si désirables. Depuis 1790, la valeur des deux terrains échangés n’est taxée qu’une fois (au lieu de l’être deux fois, comme pour une double vente) ; on lui applique même un taux réduit, surtout quand il s’agit de voisins cherchant à améliorer leur délimitation respective. A cet égard, la loi du 24 mai 1834 avait, pour cause d’abus, retiré aux permutants la faveur qui leur avait été accordée par celle du 16 juin 1824. On y est revenu après l’enquête agricole de 1869 (loi du 27 juillet 1870), mais en stipulant des conditions si rigoureuses que le taux réduit, (0,20 p. 100 en principal au lieu de 3,50), se trouvait bien rarement applicable. La loi du 3 novembre 1884 en élargit sensiblement