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découvertes, on ne cherchera plus tant à arracher au riche ses trésors, on ne se battra plus, on n’égorgera plus pour la possession des mines d’or et d’argent. Le monde sera un champ d’activité pacifique et féconde exploité par l’émulation des efforts, et non un champ de bataille où la proie disputée par la force est le prix du vainqueur. Si la monnaie est une sorte de don gratuit, à laquelle le travail est étranger, il n’y a plus là d’autre moralité que le hasard.

Le point de vue change s’il a fallu du travail et du capital pour former la plus grande partie de sa valeur et, d’autre part, si, comme les autres richesses, elle est le prix de travail, de services, de produits donnés en échange. Alors le reproche ne tombe-t-il pas ? Ne tombe-t-il pas aussi lorsqu’on cesse d’y voir, à l’exemple de philosophes comme Sénèque, de législateurs comme Lycurgue, qui ont trouvé plus d’un disciple parmi les modernes, et comme certains réformateurs contemporains, une invention funeste, un instrument de corruption, comme si cette corruption ne pouvait être pratiquée au moyen d’autres richesses, comme si ce qu’on nomme les abus du capital n’y trouveraient pas les mêmes moyens d’action, comme si la monnaie enfin n’était pas aussi un moyen d’épargne facile, de circulation propre à entretenir des rapports de sociabilité, de secours mutuel et de charité mémo ? Il n’est pas moins antiscientifique de ne voir dans le crédit que les abus scandaleux auxquels il donne lieu plus d’une fois. Il n’est pas douteux qu’il ne soit en lui-même un fait moral, un témoignage de confiance, la preuve d’une certaine moralité moyenne sans laquelle les engagements ne seraient pas tenus. Une société où il faut toujours avoir l’argent à la main inspire une pauvre idée de ses sentiments d’honneur. L’encouragement donné à l’épargne et au travail par le crédit est éminemment moralisateur, soit qu’il se manifeste par les modestes caisses d’épargne recevant les économies du pauvre, soit qu’il ait pour organes les banques considérables faisant des avances au travail et à l’esprit d’entreprise. Le crédit est si bien lié à la moralité que toutes les fois qu’il s’écarte des prescriptions de l’honneur il accumule les ruines. Le crédit suppose lui-même un capital préexistant, c’est-à-dire du travail et des économies, et il ne saurait naître de quelque opération magique, qui donnerait de la valeur à des morceaux de papier ne reposant sur aucune valeur solide. La morale et la réalité du crédit, ses effets salutaires, sont intimement liés. On peut voir ce que font de bien aux populations les banques d’Ecosse qui mêlent si heureusement les idées d’honneur à la solidité du gage. L’histoire et l’expérience n’attestent pas moins les désastres moraux et économiques du faux crédit. Le système de Law et les banques plus ou moins inspirées par les mêmes erreurs ont laissé des leçons ineffaçables par la perturbation profonde portée dans l’ordre moral comme . dans l’ordre économique. Il faut appliquer aux Etats non moins qu’aux individus le mot célèbre de Franklin : « Quiconque vous dira qu’on peut s’enrichir autrement que par le travail etl’épargne est un empoisonneur.» III. — C’est surtout dans la distribution des richesses que les faits et les lois économiques doivent être soumis au contrôle de l’idée de justice. L’économie politique démontre que la répartition qui se fait par la liberté du travail et des échanges est la plus conforme à l’équité, comme au bien général, sans prétendre pour cela que tout soit toujours au mieux et qu’il y ait, quand il s’agit de l’humanité libre et faillible, aucun système impeccable. La liberté même implique des écarts, et toutes les fortunes ne seront pas bien acquises ; mais la répartition des biens ne sera pas, par ce procédé de répartition, faussée radicalement et universellement, comme elle l’est avec les systèmes de contrainte qui n’ont jamais existé que pour favoriser les uns aux dépens des autres, et qui, en supposant même qu’ils obéissent à une inspiration philanthropique, viennent échouer devant la complication infinie de la tâche. Car, comment une autorité humaine ferait-elle la part équitable, attribuerait-elle au plus juste son dû à chacun des millions d’hommes qui composent une nation ? Elle aura beau la partager en sections, elle y perdra sa peine, suscitera des mécontentements, soulèvera des révoltes, et on pourra toujours lui demander de quel droit une minorité s’accorde ce pouvoir de disposer de la masse humaine. L’élection même serait impuissante à corriger ces défauts irrémédiables. Pour échapper à ces difficultés de répartition, ces systèmes en arrivent, vite d’ailleurs par une logique impérieuse qui les y condamne, à proposer une grossière égalité dans la répartition soit des terres soit des capitaux, égalité qui n’est que l’injustice organisée, puisqu’elle ne tient compte ni des méritesni des efforts.Rien déplus immoral que les conséquencessociales qui sont sorties de ces systèmes de contrainte qui ont toujours abouti à l’oppression et à la corruption. Témoin le régime des castes, où l’autorité, pour se faire accepter, ajoute à la force dont elle dispose le prestige d’une origine prétendue divine et repose presque toujours sur la théocratie. Témoin aussi ces so-