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ses prétentions ; ainsi ce n’est pas là l’anarchie, la confusion dont on parle, il y a des freins aux appétits, une règle imposée aux cupidités insatiables. 2° Il ne s agit pas de ce laisser faire immoral qui supprimerait l’action répressive des lois contre les fraudes et les abus de la force, contre les oppressions de tout genre ; plus un régime est libéral, plus les attentats à la liberté par les manœuvres qui tendent à l’opprimer doivent être réprimées sévèrement. 3° Enfin, il est certain que la liberté ne saurait se passer de la moralité qui seule peut corriger suffisamment ce qu’il y a d’âpre à l’excès dans la lutte des intérêts. Outre la probité, .le respect de la justice, qui forment la base essentielle des relations économiques, il y a aussi un esprit de bienveillance et, pour les faibles, de charité, qui est indispensable pour entretenir la paix sociale. Rien de bon à attendre si les cœurs sont divisés et ulcérés. Le bon état moral est nécessaire pour assurer le bon état économique. Les lumières répandues, la justesse dans les idées, la bonne disposition à l’égard les uns des autres, le respect mutuel, sont des conditions du fonctionnement satisfaisant de la liberté, et la production se ressentira profondément, en bien ou en mal, de la moralité ou de l’immoralité des riches et des pauvres, des capitalistes et des travailleurs, des patrons et des ouvriers.

IL — La circulation des biens ou richesse n’atteste pas avec moins d’évidence et de force la concordance delà morale et de l’économie politique. J’ajouterai même que les faits économiques bien étudiés ont prêté à la morale certaines lumières dont elle manquait. Ainsi, beaucoup de moralistes ont cru certains faits fondamentaux d’ordre économique entachés d’un vice radical. Il leur paraissait que, dans tout échange, il y a un gagnant et un perdant, et le plus souvent un habile et une dupe, de même qu’ils répétaient avec Montaigne que le mal de Vun fait le profit de Vautre. La théorie de l’échange atteste qu’il est le plus souvent favorable aux deux parties qui le contractent librement. Il n’est nullement condamné à être immoral pour être avantageux à l’un quelconque des contractants. Quant à l’aphorisme que le mal de l’un fait le profit de l’autre, il a sans doute un côté vrai ; l’intérêt de l’avocat est aux procès, celui du médecin à la maladie, etc. Mais l’intérêt de tous n’est pas moins de diminuer la somme du mal. D’ailleurs, l’humanité ne resterait pas inoccupée, si certains maux disparaissaient. Il y a des arts et des industries qui tendent à augmenter les satisfactions de notre espèce et à créer de nouveaux perfectionnements. Si la maladie était supprimée, les médecins y gagneraient, n’ayant plus la chance d’être malades, et leur activité se tournerait ailleurs. Combien de millions d’hommes vivent d’un travail qui ne suppose pas nécessairement un désordre I Enfin, pour reprendre l’exemple cité, il n’y a rien d’immoral dans la loi qui veut qu’un certain nombre de producteurs vivent d’un mal subi par leurs semblables, si le but qu’ils se proposent est de les en guérir. Pour l’économiste, l’idée de l’échange n’engendre que la bienveillance qui naît d’un avantage réciproque communiqué et reçu. Il manifeste une des faces les plus essentielles de la nature humaine, la sociabilité. Le commerce, qui n’est que l’expression de l’échange, et qui forme une spécialité, une profession, reçoit ainsi un caractère moins suspect que celui qui lui a été attribué par des écrivains prévenus. En outre, l’expérience économique fait voir que l’intérêt général du commerce est dans l’honnêteté qui maintient la clientèle. Jamais le caractère moral des rapports commerciaux n’a mieux éclaté que dans, la théorie économique qui établit que les produits se servent de débouchés les uns aux autres. Toutes les classes d’une même nation, et tous les peuples, malgré des désaccords partiels ou apparents, sont intéressés à leur richesse réciproque. La solidarité est substituée ainsi, dans la plus large mesure, à l’antagonisme. Où la paix intérieure ou extérieure trouverait-elle un meilleur appui ? Supposez vrai l’ancien système qui pousse les peuples à établir leur fortune sur le gain d’autrui, vous ne développez qu’inimitiés, guerres, jalousies farouches, enfin tous les mauvais sentiments qui ont été cause que chacun a fait beaucoup de mal non seulement aux autres, mais à soi-même, soit en se privant de biens qu’il eût été possible de tirer du dehors, soit en s’attirant les plus dures représailles.

■ Les instruments de l’échange, la monnaie et le crédit, amènent des conclusions analogues. Avant les démonstrations de la science économique, on avait coutume de dire que la monnaie est la richesse unique ou par excellence ; on prétendait qu’elle était une sorte de don de la nature, ou de pure valeur conventionnelle, acquise en quelque sorte à titre gratuit, on disait aussi qu’elle était essentiellement corruptrice. Il est certain que, dans ces conditions, la monnaie aurait des conséquences de la plus fâcheuse immoralité. Richesse unique et très limitée en quantité, on se la disputera avec acharnement. Mais supposez "que la richesse soit faite de tous les biens utiles, qu’elle soit susceptible de s’accroître avec l’industrie humaine et les