Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/342

Cette page n’a pas encore été corrigée

usures qui faisaient l’objet du procès. Le contraste d’un homme poursuivi criminellement pour avoir fait à des particuliers un tort dont ceux-ci non seulement ne se plaignaient pas, mais même témoignaient de la reconnaissance, me parut singulier et me fit faire bien des réflexions. »

A côté de ces réflexions qui excusent, si nous pouvons nous exprimer ainsi, le prêt sur gages, il faut rapprocher la rédaction du décret de l’an XII. Or, l’idée qui dominait, dans l’exposé des motifs présenté par Regnault de Saint-Jean-d’Angely, était moins la charité qu’on cherchait â faire qu’une concurrence qu’on voulait élever contre les usuriers. On proclamait qu’en général la liberté était le système à préférer pour toutes les transactions ; mais qu’en certains cas, cependant, l’autorité devait intervenir pour garantir la faiblesse de l’oppression, pour soustraire le besoin à la cupidité, la misère à la spoliation. Le rapporteur continuait ainsi : « De quelle nature en effet, peut être le contrat qui intervient entre un prêteur sur ’gages et cette mère de famille sans argent, qui va emprunter sur un des linceuls de sa couche délabrée de quoi donner du pain à ses enfants ? Quel contrat peut se former entre un prêteur sur gages et ce joueur [désespéré qui veut encore, au prix de son dernier meuble, essayer si la fortune lui |rendra une partie de la subsistance de sa

famille qu’il a imprudemment sacrifiée à un

’fol espoir ? Quel contrat existe entre un prêteur sur gages et cette courtisane qui a traversé la honte pour arriver à la pauvreté qui a été conduite à la misère par le vice, et qui sacrifie les restes de sa parure pour satisfaire la faim qui la presse ? Dans de telles positions, peut-on stipuler ses intérêts ? La mère de famille, le joueur, la femme dégradée, ont-ils le temps, le pouvoir ou la volonté de défendre leurs droits ? S’ils peuvent être opprimés, la loi ne doit-elle pas l’empêcher ? Pourl’empêcher, ne doit-elle pas retrancher le titre de prêteur sur gages du nombre des professions que chacun peut embrasser à son gré I » Le caractère véritable de l’institution des monts-de -piété est ainsi clairement établi : le monopole est le moyen auquel on a eu recours dans l’état d’impuissance où l’on s’élève dès le début de régulariser une bonne surveillance du prêt sur gages. Mais cette impuissance existe-t-elle encore aujourd’hui, alors que les monts-depiété ont, dans la plupart des pays civilisés, une existence normale et que l’expérience en a fait ressortir davantage les bienfaits ou les inconvénients ? C’est ce que l’on pourra juger d’une façon plus claire lorsque nous aurons indiqué sur quelles bases fonctionnent ces institutions en France et à l’étranger. . Les monts-de-piêtê en France.

Les bases du fonctionnement des monts- depiété en France ont été clairement définies par la loi du 24 juin 1851 . En vertu de cette législation, les monts-de -piété sont établis comme établissements publics et avec l’assentiment des conseils municipaux par le chef de l’État : leurs règlements doivent donc être soumis à l’examen du conseil d’État. Leur administration est confiée à un conseil et à un directeur. Le conseil, sauf celui de Paris dont nous indiquons plus loin l’organisation spéciale, est présidé par le maire de la commune. Ses membres sont nommés par le préfet, ils sont renouvelés par tiers chaque année, les membres sortants étant rééligibles, et leurs fonctions sont gratuites. L’agent qui, avec ou sans le titre de directeur, centralise l’administration sous la surveillance du conseil, est nommé parle ministre de l’intérieur ou par le préfet : il reçoit un traitement. En ce qui touche l’organisation et les conditions particulières de la gestion de ces établissements, la loi se réfère aux décrets d’institution, en les assimilant toutefois aux bureaux de bienfaisance pour les règles de comptabilité.

Les prêts sont assujettis à certaines conditions, afin que le mont-de-piéténe devienne pas une maison de recel pour les objets volés ; on exige, lorsque le prêt dépasse 15 francs, une garantie morale du déposant, celle d’être connu et domicilié, ou au moins assisté d’un représentant connu et domicilié lui-même. Si des doutes s’élèvent sur la légitimité de sa possession, le prêt doit être suspendu et la police informée. Les effets mobiliers offerts en nantissement sont estimés par des commissaires-priseurs attachés au mont-depiété ou par des commissionnaires spéciaux, aux risques et périls de ces derniers, de manière que, dans le cas de vente des objets appréciés, si le produit de la vente est au-dessous de la valeur avancée par leur estimation, ils sont tenus de payer la différence. On ne prête du reste qu’une partie de la valeur déclarée par ces agents qui ont un droit de prisée. Parmi les objets donnés en nantissement, les uns, comme la vaisselle et les bijoux d’or et d’argent, n’éprouvent pas d’altération sensible et possèdent à peu près une valeur constante, une valeur en poids du moins, car celle que l’art y ajoute est sujette à de grandes dépréciations ; les autres sont plus susceptibles de se détériorer. Le montant des sommes à prêter est généralement fixé pour les premiers aux quatre