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les besoins étaient rigoureux et le capital hors de prix, le prêt sur gages, dont on ne pouvait se passer, donna lieu à de telles extorsions, à une usure si féroce, que le cri public demanda la répression d’un pareil brigandage. Le remède, c’était la réouverture du Mont-de-piété de Paris ; mais comment réorganiser un puissant établissement de crédit en des jours où la confiance était éteinte, où le capital métallique était plus rare encore dans les caisses publiques que dans celles des particuliers ? Le Directoire imagina une sorte d’association entre les hospices et les spéculateurs à qui restait quelque aisance. Cinq capitalistes d’un caractère respecté acceptèrent le titre d’administrateurs, en apportant chacun 100 000 francs. On créa en même temps des actions mises à la disposition du public. Les bâtiments des Blancs-Manteaux, avec le matériel d’exploitation, furent considérés comme l’apport des pauvres, et il fut convenu que les bénéfices éventuels seraient partagés également entre les actionnaires et les services hospitaliers. La réouverture, dans ces conditions, eutlieu le 22 juillet 1797. Une somme de 500 000 fr. en espèces était alors un fonds considérable ; c’était peu de chose en présence de la détresse et des besoins du public. La souscription restée ouverte était peu productive. La monnaie métallique n’avait pas de prix commercial. Dans le courant des affaires, un intérêt de 5 à 6 p. 100 par mois paraissait modéré : le Mont-de-piété de Paris émerveilla le public en ne demandant d’abord à ces emprunteurs que 3 p. 100 par mois, soit 36 p. 100 pour l’année. Gomme par le passé, et comme encore aujourd’hui, il recevait contre ses billets des dépôts de fonds auxquels il attribuait un intérêt en rapport avec les conditions générales de la place. Par la nature de ses opérations et l’honorabilité de ses administrateurs, il était un établissement financier digne de confiance, le seul peut-être qui promît à l’épargne un placement de toute sûreté. Il donnait au début jusqu’à 18 p. 100 : les capitaux prudents vinrent à lui assez abondamment pour lui permettre de réduire successivementla charge de son emprunt ; mais il ne manquait pas de faire participer le public aux bonifications qu’il réalisait pour lui-même. C’est ainsi que l’intérêt des prêts fut abaissé successivement à 30, à 24, à 18, à 13 et enfin à 12 p. 100. Ces taux d’intérêts, qui sembleraient révoltants aujourd’hui, étaient favorables pour l’époque. Le grand commerce, l’État lui-même, jusqu’à la fin du Consulat, n’auraient pas eu pouvoir d’emprunter à de meilleures conditions. Vers 1804, le Mont-de-piété de Paris em-MONTS-DE-PIETE

pruntait à 7 p. 100 et prêtait à 12 p. 100 net.’ Malgré le prix relativement bas de cette redevance, ses affaires étaient limitées par la concurrence des maisons libres. Le montant de ses prêts ne dépassait guère 8 millions, chiffre insuffisant pour le faire vivre, et il est probable que cette institution n’existerait pas aujourd’hui, si elle n’avait trouvé des ressources dans un service de banque qui s’organisa accessoirement par la force des choses. En raison de la confiance exceptionnelle qu’on lui témoignait, et qui d’ailleurs était bien justifiée, le Mont- de-piété recevait en dépôt des sommes dépassant de beaucoup ses besoins, et, pour les utiliser, le seul moyen était d’escompter des valeurs de tout repos. Les titres du Trésor entrèrent ainsi pour des sommes considérables dans son portefeuille, depuis le commencement du siècle jusqu’aux jours où la Restauration trouva des ressources financières dans le crédit public. Tel était l’état des choses, lorsque Napoléon I er décréta la suppression de la liberté du prêt sur gages, en attribua le privilège aux monts-de-piété, écarta les actionnaires de celui de Paris en liquidant leurs comptes, et donna à cet établissement un caractère administratif en le classant au nombre des institions de bienfaisance. Cette innovation fut réalisée par le décret du 24 messidor an XII et par le décret impérial du 8 thermidor an XIII, auquel est annexé le règlement d’administration justement célèbre qui éclaire toutes les parties du service et est resté jusqu’à présent le code de l’institution. La fermeture des innombrables maisons de prêt de la capitale et la restauration du monopole au profit de son mont-de-piété n’eurent pas tout d’abord les résultats qu’on pouvait attendre d’une pareille innovation. Le développement des affaires ne fut pas aussi rapide ni aussi large qu’on aurait pu le supposer, et il est à croire que plusieurs des maisons supprimées continuèrent leur trafic clandestin. Il y avait, en outre, un autre obstacle à ce développement : vingt-quatre commissionnaires autorisés, à proximité des emprunteurs dans les quartiers les plus vivants de Paris, attiraient à eux les neuf dixièmes des engagements ; on entreprit d’affranchir le public du tribut payé à ces intermédiaires. C’est alors qu’on créa des bureaux auxilliaires,’ qui ne relèvent que de l’administration centrale et qui rendent les mêmes services que le chef- lieu, sans aucune rétribution supplémentaire. Il fallut une lutte de vingt ans (1840-1860) pour triompher des intérêts opposés à cette réforme. A partir de 1840, d’autres monts-de-piété se sont successivement ouverts dans diffé-