Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/335

Cette page n’a pas encore été corrigée

Dans ces trois livres, Montesquieu expose avec beaucoup moins d’exagération qu’on ne le croit communément et avec d’autant plus de mérite qu’ils étaient absolument méconnus, de son temps, les effets du climat sur l’état politique, religieux, économique des sociétés. Ces effets sont en « nombre infini » dit-il, fort justement, dans la Défense de l’Esprit des lois 1 -. Mais il les tient aussi et avec raison pour infiniment variables. C’est ainsi qu’il attribue très exactement au climat une influence beaucoup plus grande sur les peuples sauvages que sur les peuples civilisés 2 .

Livre XVIll. — Des lois dans les rapports quelles ont avec la nature du terrain. L’influence de cet autre facteur externe des phénomènes sociaux n’est pas moins heureusement déterminée par Montesquieu que celle du climat. Aussi certaine et efficace que l’action du terrain sur l’homme lui paraît, à son tour, l’action de l’homme sur le terrain, sur sa forme et sur son utilisation. « Les pays, dit-il, chapitre ni, ne sont pas cultivés en raison de leur fertilité mais en raison de leur liberté ». « Les hommes, dit-il encore, chapitre vu, par leurs soins et par de bonnes lois, ont rendu la terre plus propre à être leur demeure. Nous voyons couler des rivières, là où étaient des lacs et des marais ». Livre XX. — Des lois dans le rapport qu’elles ont avec le commerce considéré dans sa nature et ses distinctions.

Livre XXI. — ■ Des lois dans le rapport qu’elles ont avec le commerce considéré dans les révolutions qu’il a eues dans le monde. Livre XXII. — Des lois dans les rapports qu’elles ont avec Vusage de la monnaie. L’histoire et la théorie du commerce, la théorie de la monnaie constituent les parties de beaucoup les plus importantes et les plus remarquables de l’économie politique de l’Esprit des lois.

Montesquieu aperçoit admirablement le haut intérêt qui s’attache à l’histoire du commerce. « L’histoire du commerce, dit-il, est celle de la communication des peuples. » (Liv. XXI, ch. iv.) Aussi bien Texpose-t-il dans le livre XXI, depuis les temps les plus reculés jusqu’au xvm e siècle, sans omettre la période obscure du moyen âge, avec une abondance de détails et de développements qui n’est pas commune dans Y Esprit des lois. Son érudition, parfois peu sûre, ne l’a point

. V. la Défense de V Esprit des lois, t. VI, de l’édition 

laljoulaye, p. 175.

. V. Je ch. nv du liv. XIX de V Esprit des lois et tout le liv. XVII. On peut dire que la sociologie contemporaine n’a rien ajouté aux observations de Montesquieu sur l’influence du climat, Voy. Spencer, Principes de sociologie, trad. Gazelles, t. I, p. %’ô et sq.

mis à l’abri d’un certain nombre d’inexactitudes 1 . Mais celles-ci sont rachetées par la largeur et la justesse de la plupart de ses idées générales, par l’ingéniosité de quelques-unes de ses explications. Nous citerons, entre autres, comme pouvant encore être lus avec profit le chapitre xx : «Comment le commerce se fit jour en Europe, à travers la barbarie », et les chapitres xxi et xxn sur la colonisation et, spécialement, sur la politique coloniale espagnole. On y trouve, notamment, la critique la plus forte et la plus sensée de cette politique coloniale. « L’Espagne dit-il, a fait comme ce roi insensé qui demanda que tout ce qu’il toucherait se convertît en or et qui fut obligé de revenir aux dieux pour les prier de finir sa misère a . » (Liv. XXI, ch. xxn.) Le livre XX contient des pages excellentes sur la nature et les effets du commerce, sur les conditions de son développement 3 . « Le commerce guérit des préjugés destructeurs », lisons-nous chapitre i , Et, chapitre n : « L’effet naturel du commerce est de porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes : si Tune a intérêt d’acheter, l’autre a intérêt de vendre ; et toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels ». Malgré la subtilité de la distinction qu’il admet entre la liberté du commerce et la liberté du commerçant (V, ch. xii) *, Montesquieu est, en somme, un partisan beaucoup plus décidé qu’on ne l’était, a son époque, de la liberté du commerce, au sens très exact du mot. «La vraie maxime, dit-il, chapitre ix, est de n’exclure aucune nation de son commerce sans de grandes raisons » ; et il motive supérieurement cette opinion, en ajoutant : « C’est la concurrence qui met un prix juste aux marchandises et qui établit les vrais rapports entre elles ».

Il considère la douane comme nécessaire, l.Dans une lettre à Linguet, du 15 mars 1767, Voltaire eu signale quelques-unes et en exagère manifestement la. portée (V. Lettres choisies de Voltaire. Louis Moland, t. Il, p. G5 et sq.).

. Voltaire ne pouvait être plus mal inspiré qu’en disant à propos de ce passage « que Montesquieu n’avait aucune connaissance des principes politiques relatifs à la rie liesse aux manufactures, aux finances, au commerce ». V. loo. cit. . Il ne sera pas sans intérêt de noter, à cet égard, que Montesquieu était l’ami et le collègue, à l’Académie de Bordeaux, de Melon, auteur de Y Essai politique sur le cornmerce, publié en 1734 et qu’il était personnellement initié aux opérations du commerce de Bordeaux. C’est ainsi que nous savons par sa correspondance avec l’abbé de Guasco qu’il s’occupait lui-même du placement et de la vente de ses vins dans l’Europe entière et particulièrement en Angleterre, où son séjour de deux années et le grand succès de l’Esprit des lois lui assuraient de nombreux clients. V. sur Montesquieu vigneron et commerçant, Vian, Histoire de Montesquieu, p. 159 et sq.

. Ou retrouve cette distinction dans Melon, Essai politique sur le commerce, ch. jci,